mardi 11 novembre 2025

Qui furent ces Rosières promises à des militaires ?

A feuilleter les pages des délibérations du Conseil municipal, on tombe parfois sur des histoires étonnantes. Par exemple, cette décision de Napoléon Ier, Empereur des Français, de marier un de ses braves grognards avec une jeune fille pure et sage à chaque anniversaire de son couronnement (qui eut lieu le 2 décembre 1804). Charge aux conseils municipaux des villes ayant plus de 10.000 francs de revenus – donc à celui de Valenciennes – de sélectionner la demoiselle (la Rosière) et le soldat ou ancien soldat de l’Empire qu’elle épousera.

Le Sacre de Napoléon, par David
Musée du Louvre

La ville a reçu le 14 novembre 1807 un arrêté du Préfet du Nord lui ordonnant de prévoir une dot à prendre sur les revenus communaux et à allouer « à une fille sage de la commune qui sera mariée à un homme ayant fait la guerre » ; la ville doit aussi « déterminer le choix de la fille à marier et les frais de la fête anniversaire » qui aura lieu le 6 décembre.

 

François de Pommereul, Préfet du Nord
Wikipedia

Obéissant, le Conseil municipal vote le 23 novembre une somme de 600 francs pour la dot et 150 francs pour le trousseau. Ces 150 francs seront pris sur les 1.200 francs prévus pour la fête : illumination, bal public, distribution de pain aux pauvres « et autres divertissements ». Une deuxième délibération (le 27 novembre) entérine le choix de Monsieur le Maire, Benoist aîné, qui a « enfin réussi » à trouver un couple réunissant toutes les qualités nécessaires, car « l’embarras était de trouver en un si court espace [de temps], une fille qui réunit les qualités exigées et qui fut en même temps aimée d’un militaire ayant fait la guerre ».

L’heureuse élue s’appelle Marie Anne Philippine Debosse, « qui a été reconnue pour une fille tranquille, probe, sage et laborieuse, ce sont les termes du certificat joint du commissaire de police, » précise Monsieur le Maire. Elle a 23 ans, elle est “plieuse de toilettes“ (pour le transport des grands draps). Son fiancé, son “prétendu“ comme dit le maire, présente des informations tout aussi satisfaisantes, « ainsi qu’on le voit des attestations des Sieurs Cuvelier et Pochez, blanchisseurs » chez lesquels il a travaillé. Le jeune homme, âgé de 33 ans, s’appelle Jean Baptiste Frelon. Il est bardé de certificats qui retracent ses campagnes militaires, deux ans à l’armée du Rhin, deux ans à l’armée du Hannover (la légion Hanovrienne), l’expédition d’Irlande de l’an 5, tous régiments où il s’est toujours comporté « avec honneur et probité ».

 

Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes


Monsieur le Procureur impérial près le tribunal de Valenciennes ayant accordé sa dispense pour la seconde publication des bans (vu le délai très réduit), le mariage se déroule comme prévu le dimanche 6 décembre 1807 au milieu des festivités célébrant l’anniversaire du couronnement de l’Empereur « et de la bataille d’Austerlitz ». Quatre membres éminents du Conseil municipal servent de témoins et signent l’acte officiel, ce que les deux époux n’ont pu faire, « pour ne savoir écrire ». Le mariage sera une réussite : Monsieur et Madame Frelon auront six enfants, nous apprend Geneanet.

 

Pas de Rosière en 1808, mais en 1809, le 25 octobre, Monsieur Benoist aîné Maire, qui s’y est pris cette fois à l’avance, présente une candidate qui va plaire à tout le monde : Marianne Brasseur-Dangreaux. « C’est la fille d’un ancien militaire mort sous-lieutenant à St Domingue, précise-t-il ; l’époux qu’elle a choisi est aussi le fils d’un militaire, c’est le nommé Charles Joseph Rollet à qui ses services et les blessures qu’il a reçues aux Batailles de Wagram et de Znaïm ont mérité une solde de retraite. » Monsieur le Maire, tout content de sa trouvaille, entrevoit un bel avenir pour ces jeunes gens : « leur union sera heureuse, étant tous deux de la même condition, et ayant sucé, pour ainsi dire, avec le lait, l’amour pour leur patrie. » Jolie formule !

Le Conseil municipal approuve, et délibère « qu’il sera dépensé une somme de deux cents francs pour leur trousseau », à prendre sur les 1.500 francs alloués au budget communal pour les fêtes publiques, les mêmes qu’en 1807 est-il précisé.

 

Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes

Le mariage a lieu le 3 décembre 1809, jour de la commémoration du couronnement de Napoléon. Charles Joseph Rolez a 32 ans, il est « chasseur de la compagnie d’élite au vingtième régiment à cheval » et deviendra préposé des douanes ; Marie Anne Danguerieaux (dite Brasseur) a également 32 ans, elle est “fille de confiance“ (servante, domestique) ; elle porte deux noms parce qu’elle est “fille naturelle“ : Danguerieaux est le nom de sa mère, Brasseur le nom de son père. Ils ne signent pas leur acte de mariage faute de savoir écrire, mais leurs témoins sont de hautes personnalités locales : le président du tribunal civil (Adrien Perdry), le président du tribunal de commerce (Pierre Carez), le commandant de la place de Valenciennes (François Jeannin), et le maire en personne (François Benoist).

 

Banquet du mariage de Napoléon et Marie-Louise d'Autriche
Château de Versailles

L’année 1810 est un peu spéciale, c’est celle du remariage de Napoléon (il épouse Marie-Louise d’Autriche le 2 avril) et notre empereur a cette fois l’idée de marier 6000 militaires de ses armées avec 6000 jeunes filles pures et sages. Valenciennes compte parmi les villes qui doivent célébrer dix mariages, ce qui nous vaut une délibération du 6 avril 1810 où les membres du Conseil municipal sont invités à entériner les choix du maire qui a rencontré les dix candidats. Ces anciens soldats produisent soit leurs états de service, soit leurs blessures (tel a perdu un bras à la bataille de Wagram, tel autre « a un doigt de moins », un troisième « blessé d’un coup de feu à la bataille ») et annoncent les noms de leurs “prétendues“ « dont on a de bons renseignements ». A noter qu’une des jeunes filles refusera de se marier, mais le maire trouvera un couple de remplacement. Tous ces mariages se dérouleront le 23 avril 1810, avec, à nouveau, des personnalités locales comme témoins.

 

Mais 1810 aura sa Rosière ! Et le Conseil municipal devra, en ce 23 novembre, choisir entre plusieurs concurrentes. Il faut bien avouer que la dot, qui se monte à 600 francs désormais, représente pour les familles une petite fortune, et mérite qu’on se donne du mal pour la gagner. Mais je trouve que le “concours“ commence à prendre une tournure indélicate, car parmi les quatre concurrentes de 1810 (une couturière, une fileuse, une brodeuse, et la fille d’un couvreur « honnête et laborieux ») le Conseil choisit une demoiselle dont la famille est “protégée“ par le président du Tribunal de première instance de Valenciennes qui « la recommande particulièrement » : Hélène Creteur, 19 ans, la fille du couvreur. Son fiancé, Emmanuel Dandrieux, a 35 ans, il est cordier et ancien militaire (il était « Cornet des voltigeurs du 1er bataillon du 94erégiment d’infanterie de ligne »). La délibération énumère ses faits d’armes successifs : bataille d’Austerlitz, bataille d’Iéna, prise de Lubeck, bataille de Friedland, etc etc, jusqu’en décembre 1808 où il « a reçu un coup de feu à la main droite » et sa carrière militaire s’arrête.

 

Le mariage a lieu le 2 décembre 1810, tout le monde signe l’acte y compris les témoins : le déjà nommé président du Tribunal civil de première instance (Adrien Perdry), le directeur des fortifications (Antoine Vinache), le baron de Maingoval en sa qualité de chef de légion des Gardes Nationales, et le maire François Benoist. Selon Geneanet, le couple vivra longtemps et aura huit enfants.

 

Blason de Merlin d'Estreux, baron de Maingoval

Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes

 

Marie-Louise et son fils
Wikipedia

En 1811 une première Rosière est nommée pour célébrer la naissance du Roi de Rome (il est né le 20 mars). Des fêtes seront organisées en juin, et le Conseil municipal choisit l’heureuse élue le 18 mai. Cette fois cinq concurrentes sont en lice, et l’on demande aussi aux fiancés comment ils ont l’intention d’utiliser le montant de la dot « si leur future l’obtient » (tous répondent qu’ils monteront un petit commerce, sauf l’un d’eux qui en profiterait pour reprendre son ancien métier de charron). Cette fois également, les concurrentes font valoir l’existence de leurs “protecteurs“ : le curé de Notre-Dame, notamment, soutient deux d’entre elles. Mais c’est le fiancé de la gagnante qui va emporter le morceau grâce à des arguments indiscutables, notamment que son couple avait été candidat en 1810 et qu’il aurait gagné sans la recommandation du Président du Tribunal. Lui-même sort sa carte d’atout : « Il est recommandé par Mr le Général Daubigny (Nicolas Cugnot d’Aubigny, Chevalier de l’Empire) commandant d’armes en cette ville et membre du corps législatif. » Le Conseil municipal s’aligne et la Rosière est nommée : Marie Fauvergenne, 26 ans, couturière, qui épousera le 9 juin 1811 François Bougenier, 25 ans, écrivain, commis au greffe de la Cour prévôtale, ex caporal au 19e régiment de ligne. Les témoins sont toujours les mêmes personnalités locales : le président du Tribunal de 1e instance, le directeur des fortifications, le commandant de la place de Valenciennes, le chef de légion de la Garde Nationale et le maire.


Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes

En 1811 toujours, une deuxième Rosière, celle de l’anniversaire du couronnement, est choisie le 15 novembre parmi « les jeunes personnes qui se sont présentées ». La délibération n’en donne pas le détail, mais la gagnante est Adélaïde Cado, qui s’était déjà présentée le 18 mai. Elle a 38 ans, elle est “fille de confiance“. Le Conseil lui accorde, en plus de la dot, une somme de 100 francs pour son trousseau. Elle épouse le 1erdécembre 1811 Louis Dophin, 27 ans, ex-militaire blessé à Wagram, qui reprendra donc son métier de charron grâce à la dot napoléonienne. Ni l’époux ni son père ne savent écrire. L’acte mentionne les six témoins : le grand prévôt de la Cour des Douanes, le président du Tribunal de 1e instance, le président du Tribunal de Commerce, le directeur des fortifications, le Baron de Maingoval, et Benoist aîné le maire.

 

Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes

Le 18 novembre 1812, le Conseil municipal est réuni pour choisir une Rosière qui doit être dotée « le jour anniversaire du couronnement de S.M. l’Empereur et Roi notre auguste et immortel souverain ». Deux candidates se présentent, sans protecteurs cette fois. Celle qui va gagner le concours, Marie-Rose Greffe, 29 ans, est “fille de confiance“ chez un marchand brasseur de Valenciennes, Pluchart-Pochez ; son fiancé, Jacques Hotte, 37 ans, ancien militaire, est “premier garçon brasseur“ chez Pluchart-Pochez lui aussi. Il est pensionné « pour blessures reçues à la Grande Armée » et neveu du Général Hotte. L’autre candidate n’avait que des certificats de bonne conduite à produire, même signés du curé de Saint-Géry cela n’a pas suffi.

 

Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes

Le couple Hotte-Greffe se marie le 6 décembre 1812. Selon Geneanet, le fiancé était divorcé d’un premier mariage et père de trois enfants – mais son acte de mariage avec la Rosière n’en dit rien. Les témoins sont les mêmes que pour la rosière précédente, sauf le président du Tribunal de 1e Instance qui n’est pas là. Les époux ne savent pas écrire et ne signent pas.

 

Le 15 novembre 1813, une nouvelle Rosière est nommée pour le jour anniversaire du couronnement. Le Conseil ignore évidemment que ce sera la dernière. Le choix se porte, entre deux candidates, sur une “fille de confiance“ de 22 ans. Voici la délibération : 

« Marie Eleonore Habo âgée de 23 ans (sic) demeurant à Valenciennes chez la Dame Delafontaine dit Wicart depuis plusieurs années, est admise pour la Rosière de cette année, elle sera mariée à Léopold Albert Joseph Ronvaux militaire retraité du 120e Régt de ligne, ayant servi depuis le 21 pluviose an XI jusqu’au 26 septembre 1809, a fait les campagnes des années 12 au camp d’Ambleteuse, 13 et 14 en Hanovre, 1806 en Hollande, 1807 au camp de Boulogne et 1808 à l’armée d’Espagne, blessé d’un coup de feu au bras gauche à l’affaire de Rioseco le 14 juillet 1808.

Elle recevra la dot de 600 francs assignée par S.M. et 100 francs que Monsieur le Maire a promis pour le trousseau à prendre sur le crédit accordé pour les fêtes publiques.

            Fait en séance le 15 novembre 1813. »

 

Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes

Le mariage est célébré le 5 décembre 1813, seul l’époux ne signe pas l’acte. Les témoins sont le grand Prévôt de la Cour des douanes, le président du Tribunal de Commerce, un chef de bataillon du Génie chevalier de l’Empire, le commandant de la place de Valenciennes et le maire.

 

Comme on le sait, Napoléon a commencé à avoir de sérieux problèmes en 1814, et les anniversaires du couronnement ont pris fin. Les Rosières de Valenciennes devront attendre plusieurs années avant de réapparaître : leur histoire reste à écrire.

samedi 20 septembre 2025

Pourquoi ces petits bâtiments en imposaient-ils autant ?

 

Construction d'un bureau de l'octroi au faubourg de Cambrai
Dessin d'Emile Dusart
(Archives municipales de Valenciennes)

De nos jours, on passerait presque devant sans les voir s’ils n’arboraient tous – et parfois il n’en reste pas grand-chose – les armes de la ville et la mention qui leur donne leur nom : « Octroi municipal ». Ces petites maisons sont devenues des bâtiments discrets, désormais dévolus à d’autres activités citadines : logement, banque, agence immobilière, que sais-je. Pourtant, de leur temps, ce n’est rien de dire qu’ils en imposaient ! Car l’octroi municipal, c’était le lieu où l’on payait un impôt honni, la taxe sur les produits qui entraient en ville. Cette taxe s’appelait “octroi“, et le service qui s’en occupait également.


"Le Tour de la France par deux enfants"

« Aux portes de toutes les villes sont des bureaux d’octroi où l’on doit payer les droits d’entrée sur les marchandises. Pour peser les voitures et fixer le poids des marchandises qu’elles portent, on les fait passer sur la plate-forme d’une bascule. Cette plate-forme, à l’aide d’un levier, soulève le fléau d’une balance qui se trouve à l’intérieur du bureau d’octroi, et l’employé lit, sur le bras de fer, le nombre de kilogrammes. » (Wikipedia)


Jean Clinquart, haut fonctionnaire des douanes décédé en 2010, raconte l’histoire de cet impôt particulièrement détesté, dans deux numéros de la revue Valentiana (n° 41 et 42) parus en 2008. Il rappelle qu’à Valenciennes, l’octroi a été perçu du début du XIVe siècle jusqu’au milieu du XXe, avec une courte interruption au moment de la Révolution. Il a longtemps été l’unique revenu de la ville, puis la principale source de financement des dépenses communales. Lorsqu’on l’a rétabli, en 1801, on a déclaré que c’était « pour les hospices et les pauvres à domicile » (une hypocrisie qui a cessé dès 1805). On lui a donné un règlement et une organisation (un directeur, un inspecteur, des receveurs, des employés, etc.) ; on a fixé un tarif, en se félicitant des bons rendements dès la première année… Trois catégories de marchandises étaient taxées : les boissons (vin, vinaigre, eau de vie, cidre, bière, c’est ce qui rapportait le plus), les comestibles (viande fraîche ou salée) et les combustibles (charbon de terre et de bois, bois de chauffage, fagots). Au milieu du XIXe siècle on ajoutera les fourrages et les matériaux de construction. Et en 1920, le tarif comptera 98 articles, six pages pleines dans le registre des délibérations municipales gardé aux Archives.

A Valenciennes, l’octroi était perçu par la ville directement, en “régie simple“, sauf durant les années 1812, 1813 et 1814 où l’administration des Droits réunis a été efficacement chargée de cette perception par décret impérial. En 1835, à nouveau, l’octroi a été confié à une “régie intéressée“ qui nomma à Valenciennes un gérant énergique et rigoureux. Il fut victime d’une campagne d’opposition menée par Le Courrier du Nord, et en 1838 on revint à la régie simple.

Au fil du temps, les besoins financiers de la ville s’accroissent et l’octroi n’entre plus que pour un pourcentage insuffisant dans les revenus communaux. Il a fini par être supprimé, à compter du 1er avril 1943 – mais il fut, bien entendu, remplacé par d’autres taxes !


Tableau paru dans Valentiana n° 42

Tant que la ville était entourée de remparts, les bureaux de l’octroi se trouvaient aux portes, les agents travaillant sous des “aubettes“ car les locaux n’étaient pas habitables. Jean Clinquart en établit ainsi la liste, tels qu’ils se trouvaient vers 1850 :

1) le bureau central et le cabinet du préposé en chef (c’est-à-dire du chef de service) sont à l’Hôtel de ville, près de l’ancienne place à Poix. En 1870, la ville aménagera le bâtiment du poids public, place du Marché aux poissons, qui sera désormais affecté à l’octroi. 


Devis daté de 1868 : « Travaux à exécuter pour l’appropriation du Bureau Central de l’Octroi dans le local actuel des Poids publics Marché aux Poissons » 
(Archives municipales de Valenciennes)


Et en 1930, la bascule publique devant être déplacée, on transfèrera le bureau central rue de l’Intendance, à proximité de l’abattoir, dans un immeuble récemment acquis par la ville.


Rue de l'Intendance, plan du rez-de-chaussée
(Archives municipales de Valenciennes)

2) Dès 1801, les bureaux qui contrôlent les entrées des marchandises sont installés aux cinq portes de Paris, Famars, Le Quesnoy (ou Cardon), Mons et Lille.


La guérite (ou aubette) de la porte de Mons, photographiée par Jules Delsart et publiée
dans le manuscrit d'Edouard Mariage, "Souvenirs photographiques des fortifications
de Valenciennes avec notes historiques"
(Archives municipales de Valenciennes)

3) Avec l’ouverture de la ligne de chemin de fer, on crée un sixième bureau à la nouvelle porte Ferrand, la plus proche de la gare. Un septième avait été ouvert à l’abattoir, près de la porte Poterne.


Après le démantèlement, en 1895, il faut trouver de nouveaux locaux pour les services de l’octroi. Les premiers seront de simples baraquements, en attendant que des décisions définitives soient prises. Pour aider à cette prise de décision, Valenciennes consulte les villes de Reims, Sedan, Saint-Quentin, Amiens, pour savoir comment elles ont résolu le même problème, ayant elles aussi été démantelées. Consultation sans conséquence concrète, semble-t-il.

 

Jean Clinquart énonce les nouveautés :

Un bureau est créé à Saint-Waast, pour éviter aux habitants de ce quartier “décentralisé“ de devoir se déplacer jusqu’au bureau de Paris. Construit près de l’actuelle place Taffin, il sera supprimé en 1928. 


Projet du bureau de Saint-Waast
(Archives municipales de Valenciennes)

Le bureau de Mons fut construit en 1896, à l’intersection de la route de Mons (avenue de Liège) et du chemin des glacis (rue des Glacis). Il n’en reste aujourd’hui qu’un terrain transformé en “jardin“.


(Image Google Maps)


Les bureaux de Famars et du Quesnoy, tous les deux construits en 1896 sur des dessins d’Emile Dusart, architecte de la ville, existent toujours. Le premier se trouve avenue du Sergent Cairns, le second avenue de Verdun.


A droite, bureau de Famars ; à gauche, bureau du Quesnoy
(photos personnelles)


Les Archives de Valenciennes ont gardé le plan de ces maisonnettes,
réduites au strict essentiel comme on le voit

Le bureau du Quesnoy fut un temps doublé d’un autre bureau, situé rue de l’Atre de Gertrude, mais qui disparut avant 1900. En 1948, l’ “ancien bureau“ de l’avenue de Verdun est loué pour une dizaine d’années au Ministère de l’Industrie et du Commerce, qui y loge son service des Instruments et Mesures.

 

En 1897, on construisit toujours sur le même modèle le bureau de Jolimetz, rue de Jolimetz, qu’on appelle aussi bureau du Faubourg de Cambrai, situé aujourd’hui rue Jean Bernier. Pour information, ce bureau transformé en logement a été mis en vente à l’été 2025 pour 163.000 euros. Et vendu.


(photo personnelle)

En 1912, on décida de transférer le bureau dit de Paris sur la place Dampierre, dans un immeuble à construire sur un terrain acquis par la ville à Monsieur Louis Renié, « chef de comptabilité de la Compagnie des Mines d’Anzin » le 4 juin 1910. L’architecte est cette fois Paul Dusart, le fils d’Emile. L’adjudication des travaux a lieu le 20 juin 1914 : aïe-aïe-aïe. Le projet ne reprendra qu’en 1922, et sera financé par les dommages de guerre.

Les Archives nous disent qu’en 1966, la ville a décidé de louer le rez-de-chaussée du bâtiment à la Caisse d’Epargne. De nos jours (2025), c’est une agence immobilière qui occupe les locaux.


(photo personnelle)


Le bureau de Lille devint le bureau du Port. Il était implanté au Pont Jacob, sur la rive gauche de l’Escaut, à hauteur du quai des Mines. En 1897, on décida son transfert à la Croix d’Anzin, « d’abord dans un estaminet, dit Jean Clinquart, puis dans un immeuble loué. »


L'estaminet Wattiez-Moreau à la Croix d'Anzin (caché derrière le "kiosque")
(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

(Archives municipales de Valenciennes)

A la gare, l’histoire du bureau de l’octroi est chahutée par les injonctions de la compagnie de chemin de fer. Ce bureau n’est d’abord qu’une guérite installée « dans l’emprise de la gare » dit Jean Clinquart, pour abriter une antenne du bureau de Lille. En 1902, le projet de construction de la nouvelle gare prévoit un bureau réservé à l’octroi, bureau dit “de la grande vitesse“. En 1912, la compagnie des chemins de fer proposa d’édifier ce bureau dans la cour des messageries, contre loyer. Après 1918, la gare ayant été dynamitée par l’armée allemande en retraite, on attendra la reconstruction dans des baraquements, et on ouvrira un second bureau pour traiter les envois en “petite vitesse“.

Les Archives de Valenciennes gardent dans leurs fonds un « Décompte récapitulatif » des travaux de « construction d’un bureau d’octroi place de Tournai » (donc tout près de la gare), établi par l’architecte Paul Dusart le 1er février 1910 – la dépense s’élevant à quelque 18.000 francs.


A gauche, le bureau de l'octroi ; à droite, le bar de l'octroi !
(photo personnelle)

Les mêmes dans leur état originel
(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

Devant l'octroi de la place de Tournai (et son ancienne devanture), ses employés moustachus.
On peut lire leurs noms : Tassin, Guisset, Patris, Dordaine, Keller, Leblanc, Philipe, Hourez
(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

Reste ce petit bâtiment, aujourd’hui entièrement muré mais qui ressemble furieusement à nos bureaux d’octroi, qui pourrait être un souvenir du bureau de la porte de Paris. Du moins son adresse actuelle (rue de l’Abreuvoir) le situe-t-elle dans cette partie de la carte dressée par Jean Clinquart dans Valentiana.


(photo personnelle)


Carte parue dans Valentiana n° 42

Comme je le disais, tous les bâtiments de l’octroi – du moins ceux construits en 1896 par Emile Dusart – portent les armes de la ville. Elles sont particulièrement bien visibles sur le bâtiment de l’avenue Cairns :


(photo personnelle)

Georges Biron, dans son blog « Le nez en l’air », fait remarquer que le bâtiment de la place Dampierre – construit plus tard – porte en outre la croix de la Légion d’Honneur, référence à la récompense obtenue par Valenciennes en 1900 en souvenir de son attitude héroïque lors du siège de 1793.


(photo Georges Biron)

Personne n’aime payer des impôts. Pas même l’un des petits héros du « Tour de la France par deux enfants », manuel scolaire de lecture écrit par G. Bruno (pseudonyme d’Augustine Fouillée) et publié en 1877. S’étant acquitté de l’octroi à l’entrée de Mâcon, le jeune garçon s’interroge : « Pourquoi donc fait-on donner comme cela tant d’argent aux pauvres marchands qui ont déjà bien de la peine à gagner leur vie ? » Réponse de son mentor : « Pour payer les gendarmes, le cantonnier, le gaz qui nous éclaire dans les rues de la ville, pour bâtir les écoles où s’instruisent les enfants, ne faut-il pas de l’argent ? Les octrois y pourvoient, les autres impôts aussi ; moi, je trouve cela parfaitement sage, petit Julien. »

Et vous ?


vendredi 8 août 2025

Qui sont ces admirateurs qui fêtent Harpignies mieux que nous ?

 Quelle surprise ! Au beau milieu de la Puisaye – le pays de l’écrivain Colette – un panneau d’entrée dans une petite agglomération rurale s’accompagne de cette mention : « Village d’Henri Harpignies » ! Comment ? Vous voulez dire : Harpignies, le peintre de Valenciennes ? Mais oui, celui-là, le nôtre ! Vous êtes arrivés à Saint-Privé, Yonne, le village où l’artiste a vécu une quarantaine d’années et où il est décédé en 1916.

(photo personnelle)

Le souvenir du grand homme est partout, à Saint-Privé. Sa maison, qu’on appelle ici “le château“ (la Trémellerie), trône face à l’église dont les vitraux sont dus à la générosité des Harpignies (le peintre les commandait à son beau-frère, Joseph Vantillard, maître verrier). Son buste se dresse dans le square à côté du monument aux morts de la Première guerre mondiale. L’espace culturel, tout moderne, est baptisé de son nom, manière de le remercier de s’être beaucoup investi dans la vie du village. Et il repose au cimetière municipal, sa tombe sous son portrait, noyée dans les fleurs.

 

La Trémellerie, où Harpignies a vécu de 1878 jusqu'à sa mort
(photo personnelle)

Son buste dans le "Square du Souvenir"
(photo personnelle)

Au cimetière, la sépulture d'Harpignies, toute simple au milieu des fleurs
(photo personnelle)

La flamme du souvenir brûle grâce au souffle d’une association, « Les Amis d’Harpignies », créée en 2016 et qui compte aujourd’hui une vingtaine de membres (le village rassemble environ 500 habitants). Lors des prochaines Journées du patrimoine, ces Amis vont organiser à l’église une exposition des œuvres d’Harpignies qui se trouvent chez tout un chacun, car l’artiste faisait volontiers cadeau d’un dessin ou d’un croquis à ses concitoyens. Chaque année au 15 août, l’association organise « l’Eté Harpignies », exposition qui met en valeur les artistes locaux. Et surtout, les Amis d’Harpignies ont créé un « parcours Harpignies », une promenade qui guide les pas dans le village et aux alentours proches.

 

21 reproductions d'oeuvres agrémentent le "Parcours Harpignies" de Saint-Privé
(photos personnelles)


Voici comment Marie-Christine Blanc, l’actuelle présidente de l’association, explique la création de ce parcours : « Un "parcours Harpignies" a été inauguré le 28 août 2016 à l’occasion des fêtes commémorant le centenaire de la mort du peintre, inhumé dans la commune. Il permet un parcours touristique, voire initiatique, autour du bourg. Il est ponctué de stations offrant une reproduction d’une toile du maître, ainsi qu’un chevalet permettant à chacun de s’essayer à l’Art. Des panneaux biographiques permettent également d’en apprendre plus sur l’artiste. Cette célébration d’Harpignies, des paysages, de l’Art et de la nature ayant vocation à devenir pérenne, de nouvelles stations ont été implantées en 2017, portant le parcours total à plus de 3,5 kilomètres. Une signalétique complète a été mise en place afin de guider les visiteurs au cours de leur périple au travers des chemins fleuris au cœur du village, des chemins creux, des perspectives et panoramas. »

 


Harpignies, le « Michel-Ange des arbres » comme l’appelait Anatole France, sert donc ici de moteur à la vie villageoise. Qui s’en plaindra ? Sûrement pas les membres actifs de cette merveilleuse association, « Les Amis d’Harpignies ». Ils mériteraient un jumelage entre eux et nous.

 

Marie-Christine Blanc remet son prix à un lauréat de "l'Eté Harpignies" 2024
(photo "Les Amis d'Harpignies")