A feuilleter les pages des délibérations du Conseil municipal, on tombe parfois sur des histoires étonnantes. Par exemple, cette décision de Napoléon Ier, Empereur des Français, de marier un de ses braves grognards avec une jeune fille pure et sage à chaque anniversaire de son couronnement (qui eut lieu le 2 décembre 1804). Charge aux conseils municipaux des villes ayant plus de 10.000 francs de revenus – donc à celui de Valenciennes – de sélectionner la demoiselle (la Rosière) et le soldat ou ancien soldat de l’Empire qu’elle épousera.
Le Sacre de Napoléon, par David
Musée du Louvre
La ville a reçu le 14 novembre 1807 un arrêté du Préfet du Nord lui ordonnant de prévoir une dot à prendre sur les revenus communaux et à allouer « à une fille sage de la commune qui sera mariée à un homme ayant fait la guerre » ; la ville doit aussi « déterminer le choix de la fille à marier et les frais de la fête anniversaire » qui aura lieu le 6 décembre.
François de Pommereul, Préfet du Nord
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Obéissant, le Conseil municipal vote le 23 novembre une somme de 600 francs pour la dot et 150 francs pour le trousseau. Ces 150 francs seront pris sur les 1.200 francs prévus pour la fête : illumination, bal public, distribution de pain aux pauvres « et autres divertissements ». Une deuxième délibération (le 27 novembre) entérine le choix de Monsieur le Maire, Benoist aîné, qui a « enfin réussi » à trouver un couple réunissant toutes les qualités nécessaires, car « l’embarras était de trouver en un si court espace [de temps], une fille qui réunit les qualités exigées et qui fut en même temps aimée d’un militaire ayant fait la guerre ».
L’heureuse élue s’appelle Marie Anne Philippine Debosse, « qui a été reconnue pour une fille tranquille, probe, sage et laborieuse, ce sont les termes du certificat joint du commissaire de police, » précise Monsieur le Maire. Elle a 23 ans, elle est “plieuse de toilettes“ (pour le transport des grands draps). Son fiancé, son “prétendu“ comme dit le maire, présente des informations tout aussi satisfaisantes, « ainsi qu’on le voit des attestations des Sieurs Cuvelier et Pochez, blanchisseurs » chez lesquels il a travaillé. Le jeune homme, âgé de 33 ans, s’appelle Jean Baptiste Frelon. Il est bardé de certificats qui retracent ses campagnes militaires, deux ans à l’armée du Rhin, deux ans à l’armée du Hannover (la légion Hanovrienne), l’expédition d’Irlande de l’an 5, tous régiments où il s’est toujours comporté « avec honneur et probité ».
Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes
Monsieur le Procureur impérial près le tribunal de Valenciennes ayant accordé sa dispense pour la seconde publication des bans (vu le délai très réduit), le mariage se déroule comme prévu le dimanche 6 décembre 1807 au milieu des festivités célébrant l’anniversaire du couronnement de l’Empereur « et de la bataille d’Austerlitz ». Quatre membres éminents du Conseil municipal servent de témoins et signent l’acte officiel, ce que les deux époux n’ont pu faire, « pour ne savoir écrire ». Le mariage sera une réussite : Monsieur et Madame Frelon auront six enfants, nous apprend Geneanet.
Pas de Rosière en 1808, mais en 1809, le 25 octobre, Monsieur Benoist aîné Maire, qui s’y est pris cette fois à l’avance, présente une candidate qui va plaire à tout le monde : Marianne Brasseur-Dangreaux. « C’est la fille d’un ancien militaire mort sous-lieutenant à St Domingue, précise-t-il ; l’époux qu’elle a choisi est aussi le fils d’un militaire, c’est le nommé Charles Joseph Rollet à qui ses services et les blessures qu’il a reçues aux Batailles de Wagram et de Znaïm ont mérité une solde de retraite. » Monsieur le Maire, tout content de sa trouvaille, entrevoit un bel avenir pour ces jeunes gens : « leur union sera heureuse, étant tous deux de la même condition, et ayant sucé, pour ainsi dire, avec le lait, l’amour pour leur patrie. » Jolie formule !
Le Conseil municipal approuve, et délibère « qu’il sera dépensé une somme de deux cents francs pour leur trousseau », à prendre sur les 1.500 francs alloués au budget communal pour les fêtes publiques, les mêmes qu’en 1807 est-il précisé.
Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes
Le mariage a lieu le 3 décembre 1809, jour de la commémoration du couronnement de Napoléon. Charles Joseph Rolez a 32 ans, il est « chasseur de la compagnie d’élite au vingtième régiment à cheval » et deviendra préposé des douanes ; Marie Anne Danguerieaux (dite Brasseur) a également 32 ans, elle est “fille de confiance“ (servante, domestique) ; elle porte deux noms parce qu’elle est “fille naturelle“ : Danguerieaux est le nom de sa mère, Brasseur le nom de son père. Ils ne signent pas leur acte de mariage faute de savoir écrire, mais leurs témoins sont de hautes personnalités locales : le président du tribunal civil (Adrien Perdry), le président du tribunal de commerce (Pierre Carez), le commandant de la place de Valenciennes (François Jeannin), et le maire en personne (François Benoist).
Banquet du mariage de Napoléon et Marie-Louise d'Autriche
Château de Versailles
L’année 1810 est un peu spéciale, c’est celle du remariage de Napoléon (il épouse Marie-Louise d’Autriche le 2 avril) et notre empereur a cette fois l’idée de marier 6000 militaires de ses armées avec 6000 jeunes filles pures et sages. Valenciennes compte parmi les villes qui doivent célébrer dix mariages, ce qui nous vaut une délibération du 6 avril 1810 où les membres du Conseil municipal sont invités à entériner les choix du maire qui a rencontré les dix candidats. Ces anciens soldats produisent soit leurs états de service, soit leurs blessures (tel a perdu un bras à la bataille de Wagram, tel autre « a un doigt de moins », un troisième « blessé d’un coup de feu à la bataille ») et annoncent les noms de leurs “prétendues“ « dont on a de bons renseignements ». A noter qu’une des jeunes filles refusera de se marier, mais le maire trouvera un couple de remplacement. Tous ces mariages se dérouleront le 23 avril 1810, avec, à nouveau, des personnalités locales comme témoins.
Mais 1810 aura sa Rosière ! Et le Conseil municipal devra, en ce 23 novembre, choisir entre plusieurs concurrentes. Il faut bien avouer que la dot, qui se monte à 600 francs désormais, représente pour les familles une petite fortune, et mérite qu’on se donne du mal pour la gagner. Mais je trouve que le “concours“ commence à prendre une tournure indélicate, car parmi les quatre concurrentes de 1810 (une couturière, une fileuse, une brodeuse, et la fille d’un couvreur « honnête et laborieux ») le Conseil choisit une demoiselle dont la famille est “protégée“ par le président du Tribunal de première instance de Valenciennes qui « la recommande particulièrement » : Hélène Creteur, 19 ans, la fille du couvreur. Son fiancé, Emmanuel Dandrieux, a 35 ans, il est cordier et ancien militaire (il était « Cornet des voltigeurs du 1er bataillon du 94erégiment d’infanterie de ligne »). La délibération énumère ses faits d’armes successifs : bataille d’Austerlitz, bataille d’Iéna, prise de Lubeck, bataille de Friedland, etc etc, jusqu’en décembre 1808 où il « a reçu un coup de feu à la main droite » et sa carrière militaire s’arrête.
Le mariage a lieu le 2 décembre 1810, tout le monde signe l’acte y compris les témoins : le déjà nommé président du Tribunal civil de première instance (Adrien Perdry), le directeur des fortifications (Antoine Vinache), le baron de Maingoval en sa qualité de chef de légion des Gardes Nationales, et le maire François Benoist. Selon Geneanet, le couple vivra longtemps et aura huit enfants.
Blason de Merlin d'Estreux, baron de Maingoval
Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes
Marie-Louise et son fils
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En 1811 une première Rosière est nommée pour célébrer la naissance du Roi de Rome (il est né le 20 mars). Des fêtes seront organisées en juin, et le Conseil municipal choisit l’heureuse élue le 18 mai. Cette fois cinq concurrentes sont en lice, et l’on demande aussi aux fiancés comment ils ont l’intention d’utiliser le montant de la dot « si leur future l’obtient » (tous répondent qu’ils monteront un petit commerce, sauf l’un d’eux qui en profiterait pour reprendre son ancien métier de charron). Cette fois également, les concurrentes font valoir l’existence de leurs “protecteurs“ : le curé de Notre-Dame, notamment, soutient deux d’entre elles. Mais c’est le fiancé de la gagnante qui va emporter le morceau grâce à des arguments indiscutables, notamment que son couple avait été candidat en 1810 et qu’il aurait gagné sans la recommandation du Président du Tribunal. Lui-même sort sa carte d’atout : « Il est recommandé par Mr le Général Daubigny (Nicolas Cugnot d’Aubigny, Chevalier de l’Empire) commandant d’armes en cette ville et membre du corps législatif. » Le Conseil municipal s’aligne et la Rosière est nommée : Marie Fauvergenne, 26 ans, couturière, qui épousera le 9 juin 1811 François Bougenier, 25 ans, écrivain, commis au greffe de la Cour prévôtale, ex caporal au 19e régiment de ligne. Les témoins sont toujours les mêmes personnalités locales : le président du Tribunal de 1e instance, le directeur des fortifications, le commandant de la place de Valenciennes, le chef de légion de la Garde Nationale et le maire.
Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes
En 1811 toujours, une deuxième Rosière, celle de l’anniversaire du couronnement, est choisie le 15 novembre parmi « les jeunes personnes qui se sont présentées ». La délibération n’en donne pas le détail, mais la gagnante est Adélaïde Cado, qui s’était déjà présentée le 18 mai. Elle a 38 ans, elle est “fille de confiance“. Le Conseil lui accorde, en plus de la dot, une somme de 100 francs pour son trousseau. Elle épouse le 1erdécembre 1811 Louis Dophin, 27 ans, ex-militaire blessé à Wagram, qui reprendra donc son métier de charron grâce à la dot napoléonienne. Ni l’époux ni son père ne savent écrire. L’acte mentionne les six témoins : le grand prévôt de la Cour des Douanes, le président du Tribunal de 1e instance, le président du Tribunal de Commerce, le directeur des fortifications, le Baron de Maingoval, et Benoist aîné le maire.
Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes
Le 18 novembre 1812, le Conseil municipal est réuni pour choisir une Rosière qui doit être dotée « le jour anniversaire du couronnement de S.M. l’Empereur et Roi notre auguste et immortel souverain ». Deux candidates se présentent, sans protecteurs cette fois. Celle qui va gagner le concours, Marie-Rose Greffe, 29 ans, est “fille de confiance“ chez un marchand brasseur de Valenciennes, Pluchart-Pochez ; son fiancé, Jacques Hotte, 37 ans, ancien militaire, est “premier garçon brasseur“ chez Pluchart-Pochez lui aussi. Il est pensionné « pour blessures reçues à la Grande Armée » et neveu du Général Hotte. L’autre candidate n’avait que des certificats de bonne conduite à produire, même signés du curé de Saint-Géry cela n’a pas suffi.
Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes
Le couple Hotte-Greffe se marie le 6 décembre 1812. Selon Geneanet, le fiancé était divorcé d’un premier mariage et père de trois enfants – mais son acte de mariage avec la Rosière n’en dit rien. Les témoins sont les mêmes que pour la rosière précédente, sauf le président du Tribunal de 1e Instance qui n’est pas là. Les époux ne savent pas écrire et ne signent pas.
Le 15 novembre 1813, une nouvelle Rosière est nommée pour le jour anniversaire du couronnement. Le Conseil ignore évidemment que ce sera la dernière. Le choix se porte, entre deux candidates, sur une “fille de confiance“ de 22 ans. Voici la délibération :
« Marie Eleonore Habo âgée de 23 ans (sic) demeurant à Valenciennes chez la Dame Delafontaine dit Wicart depuis plusieurs années, est admise pour la Rosière de cette année, elle sera mariée à Léopold Albert Joseph Ronvaux militaire retraité du 120e Régt de ligne, ayant servi depuis le 21 pluviose an XI jusqu’au 26 septembre 1809, a fait les campagnes des années 12 au camp d’Ambleteuse, 13 et 14 en Hanovre, 1806 en Hollande, 1807 au camp de Boulogne et 1808 à l’armée d’Espagne, blessé d’un coup de feu au bras gauche à l’affaire de Rioseco le 14 juillet 1808.
Elle recevra la dot de 600 francs assignée par S.M. et 100 francs que Monsieur le Maire a promis pour le trousseau à prendre sur le crédit accordé pour les fêtes publiques.
Fait en séance le 15 novembre 1813. »
Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes
Le mariage est célébré le 5 décembre 1813, seul l’époux ne signe pas l’acte. Les témoins sont le grand Prévôt de la Cour des douanes, le président du Tribunal de Commerce, un chef de bataillon du Génie chevalier de l’Empire, le commandant de la place de Valenciennes et le maire.
Comme on le sait, Napoléon a commencé à avoir de sérieux problèmes en 1814, et les anniversaires du couronnement ont pris fin. Les Rosières de Valenciennes devront attendre plusieurs années avant de réapparaître : leur histoire reste à écrire.
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