Je vous racontais l’autre jour l’histoire de l’hospice pour miséreux transformé en hôtel de luxe[1] ; voici aujourd’hui celle du champ de manœuvres militaire changé en parc floral. Décidément, Valenciennes sait prendre des décisions radicales !
Le grand champ de manœuvres se trouvait sous les remparts,
aujourd'hui remplacés par les boulevards Watteau, Pater, Eisen, etc.
(document personnel)
La Plaine de Mons, comme l’appellent mes concitoyens, a longtemps résonné d’une connotation militaire. Du temps des remparts, c’est la Plaine de Mons qu’on inondait lorsqu’on voulait éloigner l’ennemi de nos murs. Une fois les remparts rasés, c’est encore la Plaine de Mons qui servait de terrain aux exercices des militaires. La paix aidant, ce grand terrain en ville accueille aussi de temps en temps les « grands événements », sert de base arrière aux défilés spectaculaires (comme celui qu’on organisa pour Napoléon III en 1853[2]), reçoit les cirques ambulants – notamment celui de Buffalo Bill en 1905[3].
C’est donc là que vont s’épanouir, en 1954, les grandes Floralies Valenciennoises encore si vives dans la mémoire de ceux qui s’y sont rendus.
Les Floralies sont des événements très prisés dans nos contrées septentrionales. Les Belges en particulier sont des champions de ce genre de manifestation. Les Floralies ne sont pas un simple marché aux fleurs ni un banal salon du jardinage. C’est un spectacle. C’est une succession de mises en scène florales, de décors végétaux, de bouquets multicolores, dont l’unique objectif est d’épater le visiteur. Les tableaux doivent vous laisser bouche bée, sinon c’est raté.
Mais tout en épatant le visiteur, les obtenteurs sont aussi là pour présenter aux gens de métier leurs nouveautés, leurs créations, leurs hybridations – derrière des Floralies se cache un marché professionnel d’horticulture et de motoculture. Dans les coulisses du spectacle, on signe des contrats.
Les grandes Floralies Valenciennoises de 1954 ne sont pas les premières que la ville organise. D’ailleurs, ce n’est pas la ville qui les organise, c’est la Société d’Horticulture, dont la création remonte à 1876[4]. C’est dans l’enceinte du lycée Wallon que la Société proposera, du 14 au 18 juillet 1921, au cours des fêtes célébrant le bicentenaire de la mort d’Antoine Watteau, les premières Floralies Valenciennoises. En 1924, du 14 au 22 juin, des Floralies se tiendront place Poterne. En 1926, du 26 juin au 5 juillet, c’est la Cité des Cheminots qui accueillera les « Floralies du Cinquantenaire » (il s’agit des cinquante ans de la Société d’Horticulture qui s’est, depuis la fin de la première guerre, ouverte aux jardins ouvriers).
(image extraite du site Rakuten.com)
Enfin, le champ de manœuvres verra l’établissement des Floralies en 1930, du 21 au 30 juin, et elles y reviendront en 1934, du 20 au 29 octobre.
(image extraite du site Rakuten.com) |
Toutes ces manifestations, dont le souvenir s’est noyé dans l’oubli, ont été mises en œuvre par le même couple : Marceau Plumecocq (1888-1956) et son épouse Zélia née Clinquart (1888-1973). Marceau Plumecocq, qui n’était à l’époque qu’un directeur de succursale de banque à Saint-Amand, s’est vu confier les rênes de la Société d’Horticulture en 1920, avec la mission de relancer ses activités après la première guerre mondiale – sa femme continuant son œuvre après son décès. Le couple rencontrera le succès dans toutes ses initiatives, à la grande satisfaction du conseil d’administration de la Société, alors toujours présidé par le maire.
Lorsque ce maire fut Pierre Carous (élu de 1947 à 1988), il forma plusieurs vœux : que de grandes Floralies se tiennent au printemps 1954, qu’elles aient lieu sur la Plaine de Mons, et qu’ensuite une partie de l’exposition soit transformée en jardin public, à demeure. Il fallait être culotté pour choisir l’année 1954, quand on sait que Valenciennes fut gravement défigurée pendant la deuxième guerre mondiale et que sa reconstruction ne fut terminée et « inaugurée » par le Général de Gaulle qu’en 1959.
Mais soit. Va pour une grande exposition florale internationale sur la Plaine de Mons. Elle aura lieu du 23 avril au 2 mai 1954. L’affiche, qui reprend le visuel de 1934, déjà repris d’une peinture de Lucien Jonas, tente d’annoncer les milliers et les millions de ci et de ça qui vont à coup sûr vous éblouir :
(image extraite du site Vintagepostersnyc.com)
"80.000 m2 fleuris par des exposants de 18 pays, avec des millions de plantes et arbustes, 10.000 rosiers et 800.000 tulipes et jacinthes" ! (image extraite de la revue Valentiana n° 17) |
Line Renaud, aussi célèbre à l’époque qu’aujourd’hui, vient en personne couper le cordon de l’inauguration.
(image extraite du site Rakuten.com)
Martine Carol donne de sa personne, déguisée comme la belle dame de l’affiche, pour mettre en valeur la première « rose bleue », une obtention de François Dorieux baptisée « Floralies de Valenciennes » :
(image extraite du site Rakuten.com)
Ce rosier grimpant très parfumé s'est vendu à plus de 10.000 exemplaires par an
entre 1954 et 1965.
Et un magnifique banquet fut offert à MM. les membres de la presse et du jury international, sous la présidence de Philippe Olmi, bien oublié Secrétaire d’Etat à l’Agriculture.
(image extraite du site Rakuten.com)
(Ces quatre photos extraites de la page Facebook de Richard Lemoine) |
Ces grandes Floralies furent un triomphe. On aurait compté quatre millions de visiteurs ! Les abonnés de la page Facebook de Richard Lemoine (intitulée « Amoureux de Valenciennes ») se souviennent encore de leur éblouissement soixante ans plus tard : « J’y étais ! » « J’avais le choix entre le cinéma ou les Floralies ; grâce à ma grand-mère j’ai fait les deux » « Je me souviens y avoir été l’année où il y a eu la première rose bleue exposée » « J’y suis allée avec l’école » « J’y suis allé avec mon grand-père » « C’était magnifique ! » « Un émerveillement ! » « J’habitais rue des Glacis, il y avait un monde fou ! » Etc, etc, etc. On voit les yeux briller dans ces commentaires !
Zélia et Marceau Plumecocq
(image extraite de la revue Valentiana n° 17)
Ce succès fut aussi celui du couple Plumecocq. Marceau fut surnommé par la presse « le Napoléon des fleurs » !
Zélia se vit dédicacer une rose, « Madame Plumecocq » (obtention Gaujard) ; elle donnera aussi son nom à un rhododendron et à un hortensia.
(image extraite du site Flickr.com)
Mais surtout, en « récompense » du succès phénoménal des Floralies de 1954 et du coup de projecteur positif que la manifestation a braqué sur la ville, Marceau Plumecocq est nommé Officier dans l’ordre de la Légion d’Honneur (Zélia le sera en 1961), il reçoit le diplôme du Prestige de la France, et il se voit confier la présidence active de la Société d’Horticulture, en cumul avec son rôle d’administrateur-directeur. Mais il est déjà au bout du chemin : la mort l’emporte le 2 mai 1956, dans sa 68e année.
Le jardin public souhaité par la municipalité sur l’emplacement des Floralies est créé en 1957. Tout naturellement, on lui donne le nom de « Square Marceau Plumecocq ». Ce square a bien failli disparaître, au milieu de l’urbanisation grandissante, choisi dans un premier temps par le maire actuel pour y construire une maison de retraite. Tout bien considéré – et riverains menaçant de devenir méchants ! – le square est resté in situ, et a même été rénové, agrémenté de statues et copies d’œuvres du Musée des Beaux-arts de Valenciennes. Il a perdu son nom de « Square Marceau Plumecocq » et même de « Jardin des Floralies » pour prendre celui de « Jardin des Prix de Rome ». Du moins, c’était prévu avant que Jacques Chirac ne trépasse car il s’appelle désormais « Jardin Jacques Chirac ».
Pouvait-on imaginer plus beau, plus grandiose, plus magnifique, plus exceptionnel spectacle que ces Floralies Valenciennoises de 1954 ? Eh bien oui ! En 1962, Zélia Plumecocq a réussi le tour de force d’organiser des Floralies Valenciennoises encore plus extraordinaires que celles de 1954 ! A nouveau, la presse a trouvé les superlatifs les plus grandioses pour saluer la manifestation ; à nouveau, les Valenciennois ont les yeux qui brillent lorsqu’ils évoquent les souvenirs de leur visite des lieux.
Et puis, plus rien. Fini, les grandes expositions-spectacles. Le champ de manœuvres a disparu sous les lotissements et les terrains de sport. Le temps a effacé l’effervescence et l’enchantement. Désormais, place à l’avenir !
[1] Voir dans ce blog mon article « Quel est cet hôpital qui ne soignera plus jamais ? » édité le 8 mars 2021.
[2] Voir dans ce blog mon article « Quel est cet empereur qui prit le train incognito ? » édité le 27 janvier 2020.
[3] Voir dans ce blog mon article « Qui sont ces Peaux rouges au pays des Gueules noires ? » édité le 14 juin 2017.
[4] Pour le détail de l’histoire de la Société d’Horticulture, voir l’article de Bernadette Dupont-Carpentier dans Valentiana n° 13 et 17.
Une personne membre des Amis du Musée de Valenciennes apporte les précisions suivantes :
RépondreSupprimer"Bonjour Madame Giard. Merci pour votre article sur les floralies valenciennoises. Permettez moi d'y apporter quelques précisions : Le rosier grimpant "Floralies Valenciennoises", créé par l'obtenteur F. Dorieux en 1954, n'était pas "bleu" mais rouge groseille. Ce n'est qu'au cours des Floralies de 1961, les dernières, qu'a été présentée une rose "bleue". C'est un souvenir personnel de gamin de 12-13 ans, mais je ne sais plus quel était le nom de cette rose ni qui était son obtenteur, mais il est possible que ce soit le rosiériste Gaujard et qu'elle pouvait s'appeler ... "Nungesser". D'autre part, Madame Plumecocq a été honorée à deux reprises par une rose à son nom, celle que vous avez citée et une autre de l'obtenteur belge Victor Lens, de couleur jaune citron, en 1931. Enfin, Marceau Plumecocq a eu aussi une rose à son nom - plus précisément à celui de "Président Plumecocq" - également en 1931, son obtenteur étant aussi le rosiériste Gaujard. Et en 1958, après la mort de M. Plumecocq, le rosiériste lyonnais Louis Laperrière a mis sur le marché une rose qu'il a appelée : "Souvenir du Président Plumecocq". Bien cordialement. B.D.