A Valenciennes, les dernières semaines de la première guerre mondiale eurent un goût particulièrement âcre.
La ville avait été occupée par l’ennemi dès le 25 août 1914 – trois semaines après la déclaration de guerre. Occupation signifiait réquisitions dans tous les domaines : logement, nourriture, charbon, couvertures, machines dans les usines, animaux (avec le massacre des pigeons voyageurs), cloches, jusqu’aux grilles des balcons… et aussi réquisition de main-d’œuvre et d’argent.
(photographié dans le livre de Jules Thiroux)
Aux réquisitions s’ajoutaient les interdictions : celle de circuler, celle d’envoyer des courriers ; les évacuations : les premières, forcées, pour vider la ville des mendiants, prostituées, chômeurs, les suivantes mieux acceptées après avoir vu passer avec terreur les évacués venus d’ailleurs ; et les prises d’otages, y compris des femmes, en guise de “boucliers humains“ ou à titre de représailles.
Cette vie sous le joug allait durer cinquante mois !
Le commencement de la fin débuta le 10 octobre 1918, avec l’affichage d’une nouvelle injonction : «AVIS. Par suite de la situation militaire, les habitants des communes de Valenciennes seront évacués pour leur propre sécurité dans des régions situées plus en arrière.»
(photographié dans le livre de Jules Thiroux)
L’ordre était bien de vider la ville de ses habitants, provoquant l’affolement dans la population qui comptait alors principalement « des femmes, des vieillards, des malades et des enfants incapables de marcher. » L’ennemi menaçait d’expulser de force tous ceux qui ne seraient pas partis le dimanche 13 octobre à midi. Alors, dès le 11 octobre, commença un grand exode de familles à pied tirant des poussettes trop chargées ou portant des sacs trop lourds, bientôt allégés en les délestant dans les fossés.
Ce que voyant, les Allemands comprirent que l’encombrement des routes gênerait la retraite de leur armée, et annoncèrent la suspension de l’évacuation – trop tard pour tous ceux qui étaient partis. Mais ceux qui vont rester, et ceux qui vont rentrer, vivront eux aussi des heures pénibles « à leurs risques et périls ».
Les témoins racontent surtout le tintamarre épouvantable des bombardements, des explosions de mines, des obus sifflant au-dessus de leurs têtes, du fracas des vitres qui se brisent, à toute heure du jour et de la nuit. Ils racontent les descentes précipitées dans les caves pour se mettre à l’abri des écroulements de maisons. Ils racontent le spectacle « grandiose mais plein d’horreur » des incendies allumés par l’ennemi (gare, maisons, immeubles, usines) « pour le plaisir de détruire ». Ils racontent les rues impraticables, encombrées de débris de maisons ou inondées par le Vieil Escaut « dans toutes les parties basses de la ville ». Ils racontent les ponts qui sautent, les bombes qui tombent, les engins inconnus et terrifiants (des « torpilles ») qui passent dans le ciel et dont l’éclatement « produit le bruit que pourrait faire un wagon de mitraille déchargé d’un seul coup à 2 ou 300 mètres de hauteur ».
("Dégats causés par l'explosion d'une mine à l'entrée de la ville" © Marcel Lorée/ECPAD/Défense.
Photo prise le 25 octobre 1918)
("Dégats causés par l'explosion d'une mine à l'entrée de la ville" © Marcel Lorée/ECPAD/Défense. Photo prise le 25 octobre 1918) |
Le 25 octobre, les habitants commencent à entendre le bruit des combats, notamment des fusillades, ce qui indique que « les Anglais » approchent. En effet, ils apprennent le 27 octobre que leurs sauveurs occupent toute la rive gauche de l’Escaut et, le 28, qu’ils ont pris le Mont Houy et se sont installés à Aulnoy. La petite graine de l’espoir est semée et redonne du courage aux familles qui vivent littéralement enfermées dans la ville.
C’est le 2 novembre, après d’ultimes furieux échanges de canonnades, de tirs d’obus, de feu roulant des artilleries, que Valenciennes s’est réveillée presque dans le silence. Les Allemands étaient partis, laissant derrière eux une ville morte, jonchée de débris. Abasourdis, les habitants voient quatre soldats canadiens remonter à pied la rue de Famars, ils sont les avant-gardes des troupes canadiennes, la 4e division du général Watson, qui vont traverser la ville en direction de Saint-Saulve.
Les Allemands laissent derrière eux des amas de ruines. Par exemple, la gare (A2) :
("Valenciennes, les ruines de la gare" © Marcel Lorée/ECPAD/Défense)
Sa jolie verrière au-dessus des voies :
("Valenciennes, intérieur de la gare" © René Meunier/ECPAD/Défense)
Sa façade :
("Valenciennes, façade de la gare" © René Meunier/ECPAD/Défense)
La gare telle qu’elle était avant 1914 (pour comparer) :
Tous les clochers ont souffert, ainsi que les maisons particulières (photos prises le 3 novembre 1918) :
("Valenciennes, maisons atteintes par le bombardement place du Faubourg de Paris"
© Marcel Lorée/ECPAD/Défense)
("Valenciennes, soldats anglais dans une rue de la ville" © Marcel Lorée/ECPAD/Défense) |
Ici on reconnaît l’actuelle Maison des Associations :
("Valenciennes, à l'entrée de la ville, troupes anglaises passant à travers les ruines"
© Marcel Lorée/ECPAD/Défense)
Dès le 4 novembre, la vie “officielle“ reprit, avec réunion du Conseil municipal, visite du Préfet du Nord, rencontre avec les autorités militaires britanniques pour organiser les cérémonies de célébration de la délivrance de la ville. Le Prince de Galles fut ainsi reçu en grandes pompes le 7 novembre, et notre Président Raymond Poincaré le 10.
("Valenciennes, visite de M. Poincaré, le président passe devant un bataillon de soldats écossais"
© Marcel Lorée/ECPAD/Défense)
La liesse ne pouvait cependant occulter les difficultés auxquelles la municipalité devait désormais faire face : reconstruire la ville, loger la population, et surtout lui trouver de la nourriture, rétablir les moyens de transport, réinstaller les hôpitaux, etc.
Le Conseil municipal put réintégrer son Hôtel de Ville. Il avait dû l’abandonner à l’ennemi qui y avait installé ses quartiers, et déménager rue Vieille-Poissonnerie, où cette photo de groupe fut prise le 3 novembre 1918 :
("Valenciennes, groupe dans la cour de la mairie" © Marcel Lorée/ECPAD/Défense)
Le 11 novembre à 10h, le Conseil se réunit et décida de donner à la Place de Famars la dénomination de « Place du Canada » et à l’avenue de Cambrai, celle « d’avenue du Général Horne » (du nom de l’officier anglais qui commandait l’ensemble des troupes britanniques).
Le 11 novembre toujours, à 11h cette fois, temps T où l’armistice signé dans la nuit entrait en vigueur, Jules Billiet, qui faisait alors fonction de maire, monta sur une estrade dressée devant l’Hôtel de Ville et leva le drapeau français (celui de la Compagnie des Sapeurs-Pompiers). Les troupes présentèrent les armes, les musiques britanniques jouèrent la Marseillaise et « God save the King ». Une immense acclamation retentit. C’était fini.
Sources documentaires :
« Valenciennes, L’occupation, l’évacuation, le bombardement, la délivrance. 25 août 1914 – 11 novembre 1918 » par Jules Thiroux. Réédition en fac simile par Le Livre d’Histoire, 2014.
« Vivre à Valenciennes sous l’occupation allemande, 1914-1918 – Journal de l’avocat Maurice Bauchond édité, annoté et présenté par Philippe Guignet », édité par le Cercle archéologique et historique de Valenciennes, Tome XIV, volume I, 2018.
« Evacuation et bombardements de Valenciennes, Octobre-Novembre 1918 » par Marcel Bouillon, 1918.
Sauf exception, les photos sont issues du site « imagesdefense.gouv.fr », elles portent un filigrane parce que je les ai prises sans les payer.
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