Napoléon à Waterloo, par Jean-Baptiste Carpeaux - Musée des Beaux-Arts de Valenciennes (image extraite du site Musenor) |
Après la calamiteuse bataille de Waterloo (18 juin 1815), qui met un terme définitif aux Cent Jours de Napoléon Ier et à ses rêves de retour aux affaires, les armées ennemies de notre empereur – hongrois, autrichiens, anglais, prussiens, russes – soucieuses de conforter Louis XVIII sur son trône, décident d’occuper le territoire français, notamment celui du Nord.
Le roi Louis XVIII
(image extraite de Wikipedia)
Cette occupation militaire n’est pas belliqueuse. C’est une « occupation de garantie » : garantie pour le roi de France que les soutiens à l’empereur sont morts ; garantie pour les monarques européens qui nous entourent que les Français sont bien rentrés dans le droit chemin de la monarchie.
Les villes de la région (majoritairement royaliste) vont donc devoir accueillir tous ces régiments étrangers : à Valenciennes, ce sera les Anglais.
Sir Arthur Wellesley, duc de Wellington (image extraite de Wikipedia) |
Dès le 20 juin 1815, Wellington, basé à Cambrai, a fait connaître les règles du jeu :
« Je fais savoir aux Français que j’entre dans leur pays à la tête d’une armée déjà victorieuse, non en ennemi mais pour les aider à secouer le joug de fer par lequel ils sont opprimés. En conséquence, j’ai donné des ordres à mon armée et je demande qu’on me fasse connaître tout infracteur. Les Français savent cependant que j’ai le droit d’exiger qu’ils se conduisent de manière que je puisse les protéger contre ceux qui voudraient leur faire du mal. Il faut donc qu’ils fournissent aux réquisitions qui leur seront faites, en échange pour des reçus en forme et ordre, qu’ils se tiennent chez eux paisiblement et qu’ils n’aient aucune correspondance avec l’Usurpateur [Napoléon Ier] ni avec ses adhérents. »
Les ordres de Wellington à ses troupes sont les suivants :
« Il est ordonné que rien ne soit pris, ni par les officiers, ni par les soldats sans paiement.
Les commissaires de l’armée pourvoiront aux besoins des troupes de la manière usitée, et il n’est pas permis aux officiers et soldats de l’armée de frapper des réquisitions.
Les commissaires seront autorisés ou par le maréchal [Wellington], ou par les généraux qui commandent les troupes, de faire les réquisitions nécessaires pour lesquelles ils donneront les reçus en règle, et ils doivent bien entendre qu’ils seront responsables pour tout ce qu’ils recevront par réquisition des habitants de la France, de la même manière que s’ils faisaient des achats pour le compte de leur gouvernement dans leur propre pays[1]. »
Louis Emmanuel Rey (image extraite de Wikipedia) |
Valenciennes était tenue par Emmanuel Rey, gouverneur sous les Cent Jours. Le comte de Bourmont, qui commandait la 16edivision militaire, envoie un parlementaire le prier de céder sa place. Bernique, et le siège ennemi commença, avec son lot de bombardements, au grand désespoir des habitants. C’est presque une petite guerre civile qui se déroula à l’intérieur des murs, entre ceux qui défendaient la ville contre le siège, et ceux qui voulaient mettre fin aux bombardements au plus vite. Mais le général Rey, imperturbable, tint bon et interdit l’entrée de la ville à l’allié-ennemi.
Ce n’est qu’en janvier 1816 – une fois signé le second traité de Paris – que les soldats anglais, au nombre de 10.000, s’installèrent en ville. Pour eux, la municipalité (le maire était alors le royaliste François-Joseph Benoist) a acheté 600 poêles pour chauffer les casernes[2], évacué 200 vieillards de l’Hospice général (ils sont envoyés à Douai) ainsi que 200 orphelins (envoyés, eux, à Lille). Le général anglais Charles Colville est le nouveau gouverneur de Valenciennes, secondé par trois généraux : Power, Brisbane et Keane.
Sir Charles Colville (image extraite de Wikipedia) |
Colville est logé Place Verte dans une maison louée à M. Boursier. Tous les officiers sont logés en ville, tandis que la troupe s’installe dans la citadelle et dans l’Hôpital général, et que l’ancien couvent des Ursulines a été aménagé en hôpital militaire.
On aurait pu s’attendre à une cohabitation pacifique, puisque l’entretien et le ravitaillement des troupes d’occupation sont organisés au niveau national, sans réquisition locale. D’ailleurs, les historiens soulignent la « bonne volonté » des Anglais, en tout cas celle des officiers qui participaient toujours aux fêtes officielles. Colville assista ainsi à un Te Deumchanté à Valenciennes pour fêter le deuxième anniversaire du retour de Louis XVIII dans sa capitale. De même, les musiques des régiments anglais exécutèrent plusieurs airs lors de la « fête du roi », la Saint-Louis, le 25 août 1816. Jusqu’à Wellington en personne qui, le 16 mai 1816, assista à une représentation théâtrale donnée par les officiers anglais devant un public enthousiaste, mêlant Anglais et Français[3].
Cette troupe d’officiers comédiens amateurs a d’ailleurs laissé ses statuts, 27 articles imprimés à Valenciennes chez J.B. Henry en 1816. Ses membres se proposaient de donner tous les quinze jours une représentation théâtrale alternativement avec un bal. Ils se réunissaient entre eux tous les mois pour un dîner, et pour un souper à chaque représentation. Un Français devait être « parrainé » par un Anglais pour assister aux représentations[4].
Un soldat anglais en 1815 (image extraite de Pinterest) |
Mais 10.000 soldats anglais pour une population de 18.000 habitants, c’est beaucoup ! Et les heurts ne sont pas rares. Les rapports du sous-préfet gardent la trace des rixes entre soldats et habitants, d’une bagarre entre soldats et agents de police suivie de coups de baïonnette, d’un échange d’insultes entre un général et un garçon meunier, ou entre un cabaretier et des officiers, de l’agression d’un officier anglais à minuit par quatre bourgeois (dont l’un reçoit un coup de sabre), de nombreux vols commis chez les habitants par les militaires[5]…
Les Valenciennois ne tardèrent pas non plus à se plaindre du prix des vivres. « Les domestiques employés pour faire les marchés de MM. les officiers de la garnison contribuaient par leur ignorance des usages ou par mauvais desseins à faire hausser les prix de toutes les denrées »[6]. Au point qu’il fallut, en avril 1817, acheter quatre mille hectolitres de blé étranger pour pallier la cherté des vivres.
Au titre des mauvais souvenirs, citons encore l’exécution de deux soldats anglais le 4 août 1817, au Fort Minique. Tout vêtus de blanc, ils furent pendus en présence d’un grand nombre de Valenciennois qui suivirent la cérémonie du haut des remparts[7]. L’histoire ne dit pas pour quel motif ils furent condamnés à mort.
Et puis, la présence des soldats britanniques a attiré en ville des commerçants anglais, des tailleurs, et… des prostituées. Elles furent très nombreuses, ces dames, et avec elles se sont multipliés les cas de maladies vénériennes. On comptera jusqu’à 120 soldats atteints simultanément.
En 2015, les Archives de Valenciennes ont organisé une exposition intitulée « 1815-1818 : Valenciennes à l’heure anglaise » ; la présentant dans le journal L’Observateur, notre archiviste Guillaume Broekaert n’a pas manqué de rappeler que l’occupation anglaise s’est également soldée par « la naissance de 74 bébés reconnus par des soldats britanniques … et des mariages entre des Britanniques et des dames valenciennoises.[8] » Il suffit en effet de tourner les pages des registres d’état-civil de cette période pour trouver sans effort des actes de mariage et de naissance. Je vous donne l’exemple de Monsieur et Madame Smith, qui se marient le 31 juillet 1816, puis donnent naissance à un petit Smith le 3 août 1817.
Archives du département du Nord, état-civil de Valenciennes |
Je vous donne aussi l’exemple d’un enfant, Joseph, dont la naissance le 26 décembre 1817 est déclarée par les soldats Darlington, Patterson et Armstrong – le premier reconnaissant être le père.
Archives du département du Nord, état-civil de Valenciennes
L’occupation prit fin en novembre 1818, lorsque la France termina de payer les 700 millions dus aux Alliés en exécution du traité de Paris. Au soulagement de la population, on peut ajouter une certaine satisfaction car les Anglais « ont dépensé des sommes prodigieuses et apporté de l’aisance au commerce[9] ». Mais il est clair que cette occupation de presque trois ans a beaucoup contribué à développer une certaine anglophobie chez les Valenciennois de l’époque.
Aujourd’hui, force est d’admettre que c’est l’inverse ! Valenciennes parle l’anglais couramment, ses commerces vous allèchent in English, comme si ce langage allait vous inciter à sortir plus joyeusement votre porte-monnaie. Il suffit de se promener en ville pour le constater.
(photos personnelles) |
[1] Textes cités par Aimé Leroy in « Fragments sur l’invasion du Nord de la France en 1815 », Archives historiques et littéraires de Nord de la France, tome 1, 1829.
[2] Cf. l’article de Jean-Louis Renteux dans la revue Valentiana n° 49, « Les Anglais à Valenciennes (1815-1818).
[3] Cf. « Valenciennes et l’occupation anglaise, 1816-1818 », librairie Lemaitre, 1900. Ce petit opuscule d'une dizaine de pages fut rédigé par mon grand-père, René Giard. Merci à la Bibliothèque municipale qui m’a permis de le consulter.
[4] Cité par René Giard, op. cit.
[5] Cf. Max Bruchet, « L’invasion et l’occupation du département du Nord par les Alliés (1814-1818) » in Revue du Nord, n° 25, février 1921.
[6] Cité par René Giard, op. cit.
[7] Cité par René Giard, op. cit.
[8] Cf. L’Observateur du Valenciennois du 29 septembre 2015.
[9] Cité par Bernard Ménager in « L’étranger au temps de l’occupation de 1815 à 1818 », L’image de l’autre dans l’Europe du Nord-Ouest à travers l’histoire, Institut de Recherches historiques du Septentrion.
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