mardi 30 novembre 2021

Quelles sont ces poutrelles qui dansent sous le ciel ?

 

Valenciennes, place Cardon
(photo personnelle)

Le rond-point de la place Cardon, à Valenciennes, accueille depuis une petite dizaine d’années une des 85 sculptures exposées en ville (c’est le chiffre annoncé sur le site internet de la métropole, mais je pense qu’il y en a plus). On est loin ici de l’esthétique d’un Crauck ou d’un Carpeaux, mais j’ai toujours eu un faible pour cette construction signée Nicolas Sanhes et baptisée HV11 (c’est écrit sur une plaque dans un coin de la place).

 

(photo personnelle)

Nicolas Sanhes
(photo TrappesMag)

Nicolas Sanhes est né à Rodez en 1965. C’est à Perpignan qu’il suit les cours de l’école des Beaux-Arts et commence à penser la sculpture comme une trilogie « équilibre – forme – espace ». Il se lance alors dans des constructions mettant en place des systèmes de fabrication complexe et rejoint un temps, à Lyon, l’équipe de l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Des ennuis de santé (un cancer dont il ne se cache pas) l’éloignent plusieurs mois de son atelier. Lorsqu’il y revient, c’est peu de dire qu’il reprend le travail à bras le corps ! Désormais, ses formats seront de plus en plus monumentaux. On peut lire sur son site internet (www.nicolassanhes.fr) : « La maîtrise des dimensions et des contraintes techniques lui permet d’accomplir ses premières commandes publiques. » Après Trappes en 2007 et Montélimar en 2008, c’est Valenciennes qui lui commande « son œuvre la plus complexe réalisée à ce jour », construite en carré H et installée en 2013 : « HV11 ». Ce nom signifie H comme l’acier H, V comme Valenciennes et 11 comme l’année de la commande.

 

Le carré H, c’est un acier dont la « tranche », si je puis dire, forme la lettre H. C’est particulièrement bien visible sur cette image du site www.archistorm.com :

 


« L’acier, explique l’artiste (sur le site www.escautrivesderives.wordpress.com), est le matériau le plus adapté à la monumentalité de mes sculptures. » Il utilise plus précisément la poutrelle métallique appelée HEA, conçue pour le bâtiment. Il ajoute : « C’est le matériau le plus utilisé dans la sculpture ; le plus connu d’entre nous à l’utiliser est sans aucun doute l’artiste Mark di Suvero pour qui j’ai un profond respect. »

Valenciennes a quelque temps accueilli (2008-2018), sur le rond-point de la rue Lomprez (celui qu’on appelle « le ballon de rugby »), la sculpture monumentale « E = MC2 » de Mark di Suvero.

 

La sculpture E=MC2
(image extraite du magazine "Art Absolument")

Mais Nicolas Sanhes prend soin de refermer le H des deux côtés, avec du fer plat, pour obtenir une forme parfaitement carrée, « une ligne » comme il dit, qu’il couvre encore de peinture pour qu’on ne puisse plus « savoir, au premier coup d’œil, s’il est bien question d’acier. » Car le matériau n’est que le support : « c’est la forme qui m’intéresse, dit Nicolas Sanhes, et sa présence dans l’espace. »

 

Bien sûr, l’art contemporain ne manque pas de détracteurs. Nous sommes nombreux (et je me compte dans le troupeau) à rester dubitatifs devant certaines idées insolites des artistes. Pour autant, à Valenciennes en tout cas, personne n’est allé jusqu’à « défigurer » l’œuvre immaculée de Nicolas Sanhes, comme cela eut lieu à Trappes, la ville des Yvelines voisine de son domicile. La mairie souhaitant orner une place portant le nom du gendarme Arnaud Beltrame (qui fut assassiné après s’être substitué à un otage lors d’une attaque terroriste en 2018), fit appel à Nicolas Sanhes qui y installa une de ses sculptures monumentales, en octobre 2019. Une semaine après, l’œuvre était barbouillée de peintures multicolores, à la grande indignation de la mairie qui y vit une agression autant contre la mémoire du gendarme que contre l’œuvre blanche. Bêtise d’ados désoeuvrés, je pense.

 

A Trappes, avant les dégâts…


… et après ! (photos "Le Parisien")

Chaque œuvre de Nicolas Sanhes pèse plusieurs tonnes. La fabrication de ces énormes objets demande au sculpteur des installations dignes de l’érection d’une tour Eiffel ! Regardez plutôt ce diaporama réalisé par le photographe Patrice Leterrier, précisément consacré à la fabrication de notre HV11 de Valenciennes : www.patriceleterrier.com/albums-photos/nicolas-sanhes/— le reportage est impressionnant (il faut cliquer sur la photo du peintre pour lancer le diaporama).

Dans un message électronique qu’il m’a adressé le 29 novembre 2021 pour répondre à mes questions, Nicolas Sanhes donne d’autres détails, notamment sur la préparation de sa sculpture : « La réalisation de l’œuvre a demandé une maquette pour étudier l’ensemble des aspects techniques de déformation et de résistance de l’acier au regard des tensions des lignes dans l’espace. [Il m’a fallu] étudier les parties démontables de mon œuvre pour pouvoir optimiser le transport sans fragiliser la résistance de la structure de l’œuvre. [Et encore] étudier le process de montage à l’atelier, et de démontage pour optimiser le montage le jour de l’installation sur le site. » Deux années de travail !

En 2016, la Société Générale fera l’acquisition de l’étude de HV11 pour sa collection d’art.

 

Etude HV11
(photo Société Générale)

Au final, quelle légèreté dans le grand ruban blanc qui s’élance vers le ciel en dansant ! D’où qu’on la regarde, en tournant autour de ce rond-point urbain, la statue s’offre comme un fragile nid d’oiseau. J’ai vu l’artiste fignoler en personne l’installation de son œuvre, un dimanche matin, seul avec elle sur le rond-point : derniers coups de pinceau, dernières caresses de la main, il nous la confiait – et c’était un joli spectacle de le voir lui dire au-revoir.

 

                        


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