Ou : L’introduction de l’eau potable à Valenciennes, chapitre 5 – La mise en route.
« Procès-verbal constatant la mise en place et les expériences de bonne marche 1° des pompes pour refouler les eaux des réservoirs inférieurs dans les réservoirs supérieurs 2° des machines à vapeur destinées à mettre les pompes en mouvement 3° des générateurs de vapeur.
Aujourd’hui, premier décembre mil huit cent soixante trois, nous soussignés
Bracq-Dabencourt, Maire de la ville de Valenciennes
Leville, adjoint aux travaux
Blondeau
Em. Lefebvre
A Giard
Dutemple
De Warenghien – Membres de la commission des travaux du Conseil municipal
Boudousquié, Ingénieur en chef des mines
Lelièvre ancien Capitaine du Génie
Tous membres de la commission nommée par Monsieur le maire pour la réception des appareils entrepris par Mr Quillacq, constructeur à Anzin,
Avons procédé, en présence de Mr Masquelez, Ingénieur des Ponts et Chaussées, chargé de la direction des travaux de la distribution d’eau, et conformément à l’article 7 du devis, à la constatation de la mise en place depuis plus d’un mois des susdits appareils et du résultat favorable des expériences journalières faites depuis lors … [1]»
André Gauvin, dans son livre « Petite histoire des rues de Valenciennes », annonce que la station de pompage a été inaugurée le 20 octobre 1863, et cette information a été reprise à l’unanimité par plusieurs auteurs. Je n’ai pas trouvé de document – ni d’article de presse – qui confirme cette inauguration, ni à cette date ni à une autre ; en revanche, ce procès-verbal – signé par mon aïeul Amédée Giard, à l’époque membre du Conseil municipal – qui constate que la station de pompage fonctionne, est bien daté du 1erdécembre 1863 ; si inauguration il y avait eu, elle n’aurait pu être que postérieure. J’ajoute que la construction des aqueducs ne se termine qu’en mars 1864, et que la réception de la fourniture de robinetterie n’a lieu qu’en avril 1864.
Dès le mois de mai 1863, en tout cas, le Conseil municipal prépare les conditions de la mise à disposition de cette eau potable aux particuliers. Les concessions d’eau seront accordées aux habitants qui les demanderont, pour leur usage domestique uniquement. Ils paieront pour cela une sorte d’abonnement annuel, fixé en fonction du nombre de personnes vivant dans la même maison. Les prix s’échelonnent de 9 francs pour une ou deux personnes, à 21 francs pour 6 personnes (les hospices et l’armée demanderont illico un rabais). On pourra abonner son jardin, si je puis dire, à raison de 2 francs par are. Ajoutez encore 5 francs par cheval ou par tête de gros bétail, 8 francs par voiture à quatre roues. Si vous êtes locataire, vous devez présenter le consentement écrit de votre propriétaire. Seules les industries seront soumises à un jaugeage, et devront s’équiper d’un compteur. Les premières concessions seront accordées pour trois ans, jusqu’au 31 décembre 1866 au maximum.
Suit une série d’interdictions, comme celle de revendre son eau à un tiers, ou celle de donner des pourboires aux agents du service des eaux…
Et pour parer à toute éventualité, on prévient que « le concessionnaire ne pourra réclamer aucune indemnité pour les interruptions de service pouvant résulter soit des gelées, des sécheresses, des réparations des ouvrages hydrauliques, soit de toutes autres causes[2]. »
Parallèlement, on organise le Service des eaux qu’il faut monter de toutes pièces. Monsieur Masquelez ne manque pas de suggestions. Dès 1861 il prévoit[3] que « il est nécessaire de placer à la tête du service un Ingénieur Directeur » à choisir entre l’Ingénieur des Ponts et Chaussées et les Ingénieurs des Mines résidant à Valenciennes ; il estime la dépense, « d’après ce qui se fait à Dijon », à 1.200 francs. Il poursuit : « Il faudra deux fontainiers sous les ordres du mécanicien », payés 700 francs chacun. Il chiffre aussi la dépense nécessaire pour l’entretien du réseau de distribution, la marche et l’entretien des machines, les réparations des aqueducs, réservoirs, bâtiments, etc. Il conclut en estimant que le total de cette dépense sera couvert par le produit des concessions. Il ne doute pas un instant du succès de l’opération : « On doit beaucoup compter sur les instances que feront, auprès de leurs maîtres, les domestiques qui apprécient bien vite l’avantage de trouver l’eau sous la main dans les cuisines, au lieu d’avoir la peine d’aller à la pompe et de rapporter une lourde charge. »
En octobre 1863 le Conseil municipal adoptera les grandes lignes de son projet d’organisation.
Les Archives de Valenciennes ont gardé des liasses entières des concessions accordées aux particuliers. Ces documents détaillent tous les travaux facturés aux habitants pour amener la conduite d’eau jusque chez eux : les mètres de tranchée, les mètres de “tuyau alimentaire“ (en plomb !), les manchons en fer forgé, les manchons filetés, les rondelles en plomb et en cuir, les joints à bride, les robinets pour l’intérieur, les robinets pour l’extérieur, les heures de plombier, d’aide-plombier, de terrassier, d’appareilleur, on chiffre tout ça et on fait le total. Je vous donne l’exemple de mon Amédée Giard, croisé tout à l’heure, qui habite rue de la Viéwarde :
(Archives municipales de Valenciennes)
Pour l’installation de l’eau chez lui, il doit débourser 137 francs et 50 centimes. Son cousin, mon ancêtre Alfred Giard, qui habite rue des Foulons, est facturé 79 francs et 4 centimes. C’est plus cher pour son magasin, place d’Armes : 173 francs et 2 centimes. Les différences semblent étonnantes, mais elles résultent de la configuration de la rue, et des mètres de tranchée et de pose de tuyaux nécessaires.
Au bout de trois ans, comme convenu, les clients renouvellent leur bail. Ainsi Amédée Giard, en 1866, se “réabonne“ pour dix ans, à raison de 28 francs annuels la première année (le prix est fonction du nombre de personnes à la maison).
(Archives municipales de Valenciennes)
Et voilà enfin de l’eau propre pour tout le monde ! Je pense que la ville de Valenciennes peut dire un grand merci à Louis Bracq et à Auguste Masquelez, qui ont porté ce projet d’introduction de l’eau potable en ville à bout de bras, et à son terme malgré le nombre invraisemblable d’embûches qui se sont dressées devant eux. Dans son petit livre rédigé pour répondre aux arguments de ceux qui ne voulaient pas de cette eau à Valenciennes[4], le maire, dans un tout autre propos, rend hommage à son Ingénieur des Ponts et Chaussées. Ses lignes gardent ici toute leur signification et plaident pour notre reconnaissance : « Ce projet constitue une œuvre considérable, qui a exigé tant de travail de la part de neuf employés et de leur chef (qui avait d’abord refusé de s’en charger à cause de la multiplicité de ses autres occupations), que deux employés ont été malades et que M. Masquelez était à bout de forces lorsque tout a été fini. »
[1] Archives municipales de Valenciennes
[2] Séance du conseil municipal du 2 mai 1863. Archives municipales de Valenciennes.
[3] « Projet d’établissement d’une distribution d’une distribution d’eau. Rapport rédigé spécialement en vue de se conformer à l’art. 2 du règlement en date du 23 août 1835. » Archives Départementales du Nord.
[4] « Question de l’introduction des eaux dans Valenciennes. » Typographie et lithographie de E. Prignet, à Valenciennes. 1861. page 72.
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