Souvenir d'enfance (collection familiale) |
Vous m’autoriserez donc à lui adresser cette lettre
personnelle, et posthume pour ce qui la concerne, qui la rassurera sur
l’intérêt que je porte à ce pittoresque lacet.
Ma chère Maman,
J’espère que tu vas bien, au paradis. Ici, ça va. La ville
de Valenciennes a célébré, en septembre dernier, comme il se doit, son culte à
Notre-Dame en procédant une fois de plus à son pèlerinage millénaire : le
Tour du Saint-Cordon. Je dis « millénaire » parce que son origine
remonte à l’année 1008, à peu près l’époque où vécurent Jacquouille et son
Seigneur de Montmirail avant qu’ils ne se mettent à pratiquer leurs voyages
dans le temps. Dure époque, où la ville de Valenciennes fut frappée par la
peste. Ou peut-être le choléra. En tout cas une sale maladie contagieuse, qui
fit des milliers de victimes en quelques jours. Combien la ville comptait-elle
d’habitants en l’an 1000 ? Sans doute très peu : en 1800, époque où
les mines fonctionnaient et embauchaient, on recense à peine 17.000
Valenciennois. L’horrible maladie a donc réellement menacé la ville d’une extinction
totale. Il fallait prendre des mesures radicales, comme on dirait aujourd’hui.
Ces mesures, d’une grande piété, ont sûrement été aussi d’une grande
ferveur : les Valenciennois ont prié la Vierge Marie de les sauver. La
rémission fut accordée, mais d’une façon bien particulière.
La Sainte Vierge se choisit en effet un messager en la
personne d’un certain Bertholin, un ermite qui vivait hors la ville, au hameau
de Fontenelle (une petite chapelle, vestige d’une abbaye, indique encore le
lieu de nos jours, entre Maing et Trith). Elle lui dit qu’elle avait entendu
les prières de détresse des Valenciennois. Elle lui demanda de rassembler les
survivants sur les remparts de la ville, la nuit qui précède son anniversaire.
Alors d’accord, la veille du 8 septembre (jour où les chrétiens fêtent la
nativité de la Vierge), la population vint sur les remparts et assista, dit la
chronique, à un spectacle miraculeux :
« On dit que, réunis sur les murailles, les spectateurs
virent tout à coup les ténèbres se
dissiper, la nuit se changer en lumière, tandis qu'apparaissait à leurs regards
une reine majestueuse entourée d'un cortège d'anges, semblant venir de la
chaumière de l'ermite et stationnant au-dessus de la chapelle du Neuf Bourg
dédiée à Marie par Charlemagne. Elle tenait en mains une pelote de cordon
écarlate. Un ange aurait alors saisi le bout du « Céleste filet », et d'un vol
rapide entourant la ville et ses alentours, laissa tomber derrière lui le
précieux cordon. Le circuit terminé, la vision s'évanouit ; à l'instant même,
on dit que la contagion cessa et ceux qui étaient atteints furent guéris. »
Voilà, ma chère
Maman, quel est ce saint cordon – qui effectivement a donné la vie, mais pas de
la façon que tu pensais.
Je t’embrasse bien
fort,
Ta fille aimante.
Et l’histoire ne
s’arrête pas là. Car le jour de son anniversaire, le 8 septembre, Marie avait
un nouveau message pour Bertholin. Elle souhaitait que, pour la remercier de sa
bonté, la population de Valenciennes suive chaque année le tracé du Saint
Cordon dans la ville, précisément à la date du 8 septembre. Le maire de
l’époque s’y est engagé au nom de toute la population, et depuis lors le
pèlerinage a lieu, tous les ans, dans une ferveur bon enfant. J’ai assisté à
l’édition du millénaire, en 2008, c’était magnifique. Savez-vous que le Tour du
Saint Cordon, avec ses mille ans d’histoire, est le plus ancien pèlerinage de
France ?
Chaque année le maire en titre porte la statue durant le Tour du Saint-Cordon. Ici, Jean-Louis Borloo. (Photo, collection Richard Lemoine) |
Voilà, ma chère Maman, l’explication de la dévotion non pas à un cordon rouge mais à un geste de bonté et de compassion, d’une population qui n’a jamais failli à l’expression de ses remerciements. C’est assez rare pour être souligné.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire