"Valentin Conrart, de famille valenciennoise, fonda en 1630 le Cercle Conrart, berceau de l'Académie française" |
Des pages très anciennes, qui font remonter à l’époque de la
Réforme. En 1520, Luther prend ses distances avec le pape Léon X. En 1541,
Calvin s’installe à Genève et organise son Eglise réformée. A partir de 1555,
de nombreuses Eglises réformées se créent en France, et entre 1560 et 1598
(date de l’Edit de Nantes) catholiques et protestants vont se cogner dessus à
qui mieux mieux pendant les guerres de religion, quarante ans de
carnages !
Certes, Valenciennes n’est pas française à cette époque. La
ville fait partie des Pays-Bas espagnols, mais elle échange et commerce depuis
toujours avec les villes du Nord, notamment Anvers vers où les flots de
l’Escaut s’écoulent, et leurs idées réformistes ont trouvé bon accueil chez les
bourgeois valenciennois.
Réformistes donc hérétiques : Charles Quint le
catholique sera le premier à lancer un Edit contre eux, en 1550, ordonnant
« que les femmes fussent enterrées vives et les hommes décapités »
s’ils se repentaient de leurs erreurs ; sinon, il fallait les précipiter
dans les flammes, point barre. Ces pratiques radicales n’ont cependant pas
réussi à éradiquer les protestants des Pays-Bas. Lorsque Philippe II, fils de
Charles Quint, lui succède en 1555, il envoie d’abord sa sœur, Marguerite de
Parme, gouverner cette province ; la pauvre fut incapable de faire face
aux violences des iconoclastes (qui détruisaient les statues religieuses et
pillaient les églises) et à la « révolte des gueux » menée en 1566 par
le prince luthérien Guillaume d’Orange. Alors Philippe II donna congé à sa sœur
et envoya sur nos terres le sanguinaire duc d’Albe.
Il s’appelle Fernando Alvarez de Toledo y Pimentel, c’est un
« Grand d’Espagne » qui s’est déjà illustré en remportant
d’importantes batailles aux côtés de Charles Quint. Il arrive à Bruxelles le 22
août 1567, investi d’un pouvoir absolu pour réprimer les velléités de liberté
de religion. Il crée aussitôt un Conseil
des troubles, que tout le monde appelle bientôt Conseil de sang, ce tribunal condamnant sans preuves et envoyant
systématiquement à la potence, au bûcher, à la décapitation sans oublier de
confisquer les biens des suppliciés. Il se vantera, lorsqu’il rentrera en
Espagne en 1573, d’avoir fait périr 18.000 personnes de la main du bourreau, et
confisqué pour huit millions de ducats de revenu par an !
Basé à Bruxelles, il nomme des « commissaires »
dans les villes qui se trouvent sous sa juridiction. Valenciennes reçoit les
siens en janvier 1569. Ainsi que le souligne Arthur Dinaux dans ses
« Archives historiques et littéraires du nord de la France et du midi de
la Belgique » (publié en 1837), leur rôle « sous le prétexte avoué de
rétablir la religion » est évidemment de « confisquer les biens des
plus riches bourgeois » ; « tout ce qui avait quelque réputation
de richesse, de savoir, de talent, écrit-il encore, était sûr d’attirer les
soupçons des sicaires du duc d’Albe, et un soupçon coûtait la vie. »
C’est ainsi que, le 18 janvier 1569, « face à la
chapelle Saint-Pierre » (place d’Armes), fut décapité à l’épée, avec une
vingtaine d’autres de ses semblables, le bourgeois Pierre Conrart « pour
cause d’hérésie et vente d’armes ». Les Conrart sont une très ancienne
famille de marchands de Valenciennes, dont on retrouve au fil du temps des
membres cités parmi les échevins de la ville. Pierre Conrart, échevin lui-même,
eut sept enfants. Après son exécution, son fils Jacques alla s’établir à Paris,
en France, pour échapper au Conseil du
sang. Car pour survivre il fallait fuir (ou devenir catholique) ! Et
c’est à Paris que naquit son fils, Valentin Conrart, en 1603.
Le Bourgeois gentilhomme, ses boucles et ses rubans |
Tallemant des Réaux, huguenot également, dresse dans ses
« Historiettes » le portrait de Valentin et de son père, « un
bourgeois austère qui ne permettait pas à son fils de porter des jarretières ni
des roses de soulier, et qui lui faisait couper les cheveux au-dessus de l’oreille »
(pour comprendre de quoi il parle, il faut se figurer les costumes des
messieurs à l’époque de Molière). Austère, Jacques Conrart l’était aussi pour
ce qui concerne l’avenir de son fils, qu’il destinait à un emploi dans les
finances. « Il ne voulait pas, dit Tallemant des Réaux, que son fils
étudiât, et est la cause que Conrart ne sait point le latin. »
Ne pas savoir le latin ni le grec, ce sera un grand regret
pour Valentin Conrart qui est nommé en 1627 Secrétaire du roi, spécialisé dans
les affaires de librairie, c’est-à-dire chargé d’autoriser la parution des livres.
Cette occupation fait de lui un personnage central du monde des auteurs, et dès
1629 il réunit chez lui, rue Saint-Martin à Paris, une fois par semaine, des
hommes de lettres, ce qu’on a appelé le « Cercle Conrart ». Ce cercle
attire l’attention de Richelieu, qui offre de transformer ces réunions en
compagnie littéraire placée sous l’autorité royale. En 1635, Conrart qui en est
le secrétaire rédige les statuts de cette compagnie, approuvés par Richelieu
puis ratifiés par Louis XIII : l’Académie française est née.
Photo Université Jean Monnet de St-Etienne |
Celui qui ne savait pas le latin, celui qui n’a rien édité
de son vivant, celui dont Boileau s’est moqué en persiflant « j’imite de
Conrart le silence prudent », celui dont la notoriété n’atteint
aujourd’hui qu’un petit cercle d’érudits, ne serait peut-être devenu qu’un obscur
échevin valenciennois de plus sans la hargne sanguinaire du duc d’Albe et
l’émigration de son père. Il est ainsi des coups de pied aux fesses de
l’Histoire, qui laissent songeur.
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