Je visitais l’autre jour l’un de ces aquariums qui, comme
les zoos désormais, souhaitent nous instruire autant que nous divertir. Depuis
le cabillaud qu’on pêche dans l’Atlantique nord, jusqu’au poisson-clown qui
frétille au milieu des coraux tropicaux, en passant par les voraces requins,
les gracieuses méduses, les homards immobiles, je contemplais ce peuple de la
mer avec admiration quand mon œil fut attiré – et mon attention tout à fait
éveillée – par le nom d’un petit poisson discret :
« Valenciennes » ! Bien sûr, je l’ai photographié illico :
Le discret Valenciennes dans son aquarium (document personnel) |
A y regarder de plus près, son nom exact est Valenciennea puellaris, en français
Gobie tacheté d’orange, en anglais Maiden goby (c’est-à-dire Gobie jeune fille,
traduction du nom latin). Tous les poissons du genre Valenciennea – il existe une quinzaine d’espèces – sont des Gobies,
des Gobiidae, une grande famille qui
compte près de trente genres.
Ce sont des poissons tropicaux qui vivent en mer Rouge, en mer
du Japon, au sud de la Grande barrière de corail et vers la Nouvelle-Calédonie.
Les Valenciennea puellaris ne sont
pas très grands (pas plus de 15 cm) mais très élégants. Ils portent une jolie
livrée couleur sable avec des raies orange sur le corps et des taches
gris-argenté sur la tête. Ils vivent en couple et quand ils sont mariés c’est
pour la vie ! Ils vivent au milieu des coraux et dans le sable, où ils
s’engouffrent s’ils se sentent en danger ou pour passer la nuit.
Aussi sympathiques qu’ils soient, pourquoi s’appellent-ils
Valenciennes ? En vérité, pas à cause de nous. La ville n’a rien à voir
avec ces Gobies. Ils doivent leur nom à Achille Valenciennes, un zoologiste né
au lendemain de la Révolution (en 1794) et grand nom français de la taxonomie.
Son destin était d’ailleurs tout tracé, puisque ce monsieur a vu le jour entre
les murs du Muséum national d’histoire naturelle à Paris, où logeait son père
aide-naturaliste. Toute sa vie, Achille va classer les animaux : d’abord
avec Geoffroy Saint-Hilaire, puis avec Lamarck, puis avec Cuvier, trois
illustres savants dont les travaux sont autant d’avancées dans notre
connaissance du monde animal. Achille s’est intéressé à tout, la mammologie
(étude des mammifères), l’ornithologie (celle des oiseaux), l’herpétologie (les
serpents), l’ichtyologie (les poissons). Il est l’auteur – avec Cuvier jusqu’en
1832, puis seul – des 22 volumes de L’Histoire
naturelle des poissons (1828-1848). Il entre à l’Académie des Sciences en
1844. Ses derniers travaux porteront sur les nautiles (mollusques présents dès
les premiers âges de la Terre), les gorgones (animaux vivant en colonies dans
les fonds marins), les éponges. Il est mort à Paris en 1865.
Achille Valenciennes (photo du site Wikipedia) |
Un autre savant s’est intéressé à la biologie marine, et
celui-là est Valenciennois, c’est Alfred Giard. Né en 1846, c’est en
accompagnant son père au jardin qu’il prend goût au monde des insectes et
autres bestioles. Après ses études à l’Ecole normale supérieure, il enseigne un
temps à la faculté des sciences de Paris avant de rejoindre celle de Lille, en
qualité de professeur d’histoire naturelle (1873-1882). Mais Alfred était
d’abord un chercheur. En 1874, il crée son propre laboratoire de biologie
marine « les pieds dans l’eau », à Wimereux. La station existe
toujours, rattachée au CNRS et à l’Université de Lille I, mais à l’époque
c’était une grande première de travailler ainsi in situ. Par ailleurs, Alfred Giard était évolutionniste. En 1888,
il prend en charge à la Sorbonne un cours sur l’Evolution où il diffuse les
idées de Lamarck et de Darwin, alors très controversées. Aujourd’hui tout le
monde reconnaît le rôle considérable qu’Alfred a joué dans la diffusion de la
théorie de l’évolution en France. Tout comme on lui reconnaît un rôle pionnier
dans l’entomologie appliquée – c’est-à-dire l’étude des insectes non plus sous
l’angle de la taxonomie, mais, pour utiliser un mot contemporain, sous celui de
l’éthologie. Comme Achille, mais cinquante ans plus tard, en 1900, Alfred Giard
est reçu à l’Académie des Sciences. Il est décédé en 1908.
Alfred Giard (photo du site Wallon-Pinault) |
Ce grand savant dont je porte le nom, s’est vu donner le
sien, par un disciple admiratif, à un parasite intestinal qui ressemble à un
cerf-volant. J’aurais préféré un petit poisson.
PS. Bien sûr – mais cela n’a rien à voir avec mon sujet du
jour – je dois préciser qu’Alfred Giard a également été maire-adjoint de Lille,
député du Nord élu dans la première circonscription de Valenciennes (1882-1885),
et que c’est lui qui a invité Emile Zola à venir visiter les mines d’Anzin en
1884 avant d’écrire son roman Germinal.
Mais cela est une autre histoire.
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