A Valenciennes, elle est connue comme le loup blanc :
Philippa de Hainaut, née dans cette bonne ville au début du XIVe
siècle, fille du comte Guillaume Ier, devenue reine d’Angleterre par
son mariage avec Edouard III. Elle était d’ailleurs de sang royal, car c’était
une Valois, nièce de Philippe le Bel roi de France. Et en réalité, elle aussi
s’appelait Philippe, ce prénom n’étant pas « masculin » à l’époque
(un siècle plus tard, de la même façon mais inversement, le duc de Montmorency s’appellera Anne).
Philippa s’est rendue célèbre pour avoir, durant la guerre
de Cent Ans, sauvé la vie aux bourgeois de Calais. Vous connaissez
l’histoire : Edouard III fait le siège de Calais, mais la ville tient bon,
elle tient onze mois durant, et finit par capituler le 3 août 1347 devant un
roi d’Angleterre mis très en colère par cette dispendieuse résistance.
Tellement en colère qu’il veut exécuter tous les habitants pour les punir –
puis, tout bien considéré, seulement six d’entre eux, qui doivent se présenter
devant lui la corde au cou, vêtus de leur seule chemise, et portant les clés de
la ville. A la fin du XIXe siècle, Auguste Rodin a représenté cette
scène de façon saisissante, son œuvre trônant aujourd’hui en bonne place devant
l’Hôtel de Ville de Calais.
Les six bourgeois de Calais otages d'Edouard III, par Rodin (photo tirée du blog "mon humeur vagabonde") |
En 1347, Philippa est enceinte de son onzième
enfant – au total elle en aura treize, mais neuf disparaîtront avant elle – et c’est dans cet état qu’elle assiste au triste défilé calaisien.
Prise de compassion, elle se jette aux pieds de son époux et le supplie d’avoir
pitié des six otages, et le roi, le cœur tout amolli, les gracie.
C’est en tout cas ce que raconte Jean Froissart dans ses
Chroniques. Encore un natif de Valenciennes qui a laissé son nom dans
l’histoire ! Né en 1337, il n’a pas été témoin de la scène qu’il raconte.
Mais il est entré au service de Philippa en 1362 en qualité de « clerc de
chambre », et donc il se sent chargé de mettre sa patronne en valeur et de
raconter les plus jolies choses à son sujet. Les artistes aiment réinventer la
réalité. C’est vrai aussi du sculpteur Alfred Bottiau – toujours un
Valenciennois – dont une stèle datée de la première moitié du XXe
siècle orne un square de Valenciennes : elle représente Froissart offrant
ses Chroniques à la reine Philippa. Très belle œuvre, sauf que Philippa est
morte en 1369, et Froissart n’a commencé sa rédaction qu’en 1373.
Jean Froissart remettant ses Chroniques à Philippa de Hainaut, par Bottiau (photo personnelle) |
Mariée à 14 ans, mère de treize enfants, Philippa n’est pas
seulement une femme gentille et pleine de compassion, comme la montre l’image
que la tradition a gardée d’elle. C’est d’abord et avant tout une reine. Elle
est l’épouse d’un Plantagenet, un Edouard III qui est monté sur le trône après
avoir écarté sa mère et décapité l’amant de la dame, un Edouard III qui aime la
guerre, qui pratique l’autorité et qui veut montrer au monde et à son peuple
que le roi d’Angleterre n’est pas le premier venu.
L’historienne Frédérique Lachaud[2] a montré
comment Philippa a participé à cette magnificence royale qui devait en mettre
« plein la vue ». Elle a étudié dans le détail la composition et
l’incessant renouvellement de l’impressionnante garde-robe de la souveraine,
qui dépensait annuellement pour ses vêtements entre 20 et 25 % de ses revenus.
La reine avait auprès d’elle un tailleur personnel et disposait aussi, dans
Londres, d’une « grande garde-robe » - un entrepôt et des ateliers –
où se trouvaient un clerc trésorier, un autre tailleur, un portier et deux
porteurs, tout ce petit monde faisant travailler des fourreurs, des tailleurs
et des « tondeurs de drap ». On importait des Flandres et du Brabant
les draps de laine, tandis que les soieries, taffetas, velours étaient achetés
à des marchands toscans, génois, anglais. On achetait des peaux d’hermine
pour la décoration des vêtements, et des fourrures d’écureuils pour les
doublures.
Costumes de princesses vers 1400 (photo du livre "Costumes of all nations", sur Wikimedia Commons) |
Et on ne voyait pas petit, jugez plutôt : une robe, à cette époque (1332), est constituée de cinq pièces : une cotte (tunique), un surcot, une cloche, un corset, un chaperon, parfois un mantel (cape). Un corset
réalisé pour Philippa à l’automne 1332 a demandé quatre aunes et demie de drap
de Louvain, huit peaux d’hermine pour les bordures, et trois cents ventres
d’écureuils pour la doublure ; la confection d’une robe entière mobilisait
six tailleurs pendant huit jours et un fourreur pendant deux jours. Frédérique
Lachaud estime entre autres, d’après les comptes de son trésorier, que Philippa
s’est fait faire seize robes complètes en 1332 et qu’elle a acheté
cinquante-quatre paires de chaussures et soixante-six paires de gants. Un journaliste anglais,
Charles Farris[3],
mentionne également une robe qui a nécessité 952 ventres d’écureuils, et une autre
qui était entièrement brodée d’écureuils d’or. Où trouvait-on toutes ces
bestioles, j’avoue que je m’interroge.
Quoi qu’il en soit, la coquetterie de la reine a fini par
faire la fortune de l’Angleterre, puisque c’est sous son règne que l’industrie
textile a fait ses premiers pas outre Manche. C’est en effet à la demande de
Philippa que les premiers tisseurs flamands sont arrivés à Norwich (où elle
leur rendait visite régulièrement « pour s’assurer du bien-être des
ouvriers » disent les historiens[4]) puis
ont essaimé dans les villes alentours.
Un dernier mystère entoure Philippa, que certains Anglais
appellent « the black queen », la reine noire. En 1322, le père
d’Edouard III avait envoyé un émissaire chez le Comte de Hainaut à Valenciennes pour trouver une épouse
pour son fils, et l’ambassadeur rapporta cette description de la toute jeune
fille, alors âgée de huit ans environ : « (je traduis grosses
mailles) ses cheveux sont bruns, presque d’un noir bleuté ; elle a le
front haut et large, un peu bombé ; ses yeux sont bruns-noirs et
profonds ; elle a le nez régulier, sauf qu’il est large et un peu écrasé,
les narines sont également larges. Ses lèvres sont pleines, notamment la lèvre
inférieure. Celles de ses dents qui sont tombées et ont repoussé sont assez
blanches, mais pas les autres. Ses oreilles et son menton sont jolis. Son cou,
ses épaules, tout son corps et ses membres inférieurs sont bien formés ;
et il ne manque rien, autant qu’on puisse en voir. De plus, elle est partout
brune de peau, comme son père[5]. »
Ce « brune de peau » (brown of
skin) a fait couler beaucoup d’encre ! Et de nombreux auteurs
rappellent que Philippa était la mère du célèbre Prince Noir, surnom donné à
son fils aîné – à cause de la couleur de son armure, disent les uns ; non,
non, on l’appelait déjà comme ça dans l’enfance, disent les autres. Comment
savoir ? Doute ou pas, Queen Philippa figure en bonne place parmi les
« 100greatblackbritons.com », les cent plus célèbres Britanniques
noirs.
Monument funéraire de Philippa à Westminster Abbey. Il semble que la princesse Leïla de "Star Wars" se soit bien inspirée de cette coiffure. (photo tirée du site altesses.eu) |
Elle est morte le 15 août 1369, souffrant d’hydropisie
depuis plusieurs mois. Elle fut pleurée par ses sujets, mais aussi par son mari
pourtant alors flanqué d’une officielle maîtresse. Elle est enterrée dans
l’abbaye de Westminster à Londres, où elle avait été couronnée en 1330 et où,
comme elle le lui avait fait promettre, Edouard III l’a rejointe à sa mort en
1377.
[1]www.histoireeurope.fr
[2]
Voir son article « Vêtement et pouvoir à la cour d’Angleterre sous
Philippa de Hainaut » in « Au cloître et dans le monde »,
Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2000.
[3]
Voir le blog « medieval royal wardrobe lexis ».
[4] www.encyclopedia.com
[5] www.englishmonarchs.co.uk
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