samedi 22 février 2020

Quelle est cette vaisselle qui disparut à la Révolution ?

Une vraie révolution s’est produite en France en 1768 dans le monde de la céramique, lorsqu’on a découvert à Saint-Yrieix près de Limoges un gisement d’argile blanche, le kaolin. L’histoire de cette découverte est d’ailleurs un roman à elle seule. On raconte en effet que l’épouse de Jean-Baptiste Darnet, chirurgien militaire retiré à Saint-Yrieix, lavait son linge avec une terre blanche qu’elle utilisait comme savon. Intrigué, Darnet montre cette matière à l’un de ses amis apothicaire à Bordeaux, Marc-Hilaire Vilaris, qui identifie avec certitude le kaolin – et fait aussitôt de la spéculation sur les terrains. D’où la controverse qui dure encore aujourd’hui : qui a découvert cet « or blanc » en France ? Darnet ou Vilaris ? (Si vous voulez mon avis, c’est l’épouse de Monsieur Darnet, mais on a oublié jusqu’à son prénom !)

Vilaris
(photo Richard Zéboulon)

Darnet
(image extraite de Wikipedia)
            













Bref, disposer d’un gisement de kaolin en France est une aubaine pour tous ceux qui, depuis que Marco Polo s’est extasié sur les porcelaines de Chine, essaient tant bien que mal d’imiter cette matière translucide. Jusqu’alors, on travaillait la porcelaine phosphatique (notamment les Anglais) contenant des os calcinés, et surtout la porcelaine tendre à la composition compliquée, coûteuse, et qui se raye facilement. On connaissait l’existence du kaolin et sa capacité à obtenir une porcelaine dure comme la porcelaine chinoise. En 1708 en effet, un chimiste allemand, Johann Friedrich Böttger, réfugié à Meissen après quelques ennuis avec son souverain en Prusse, découvre que la poudre blanche utilisée par ces messieurs pour entretenir leurs perruques permet d’obtenir une porcelaine proche de la chinoise. Gardant précieusement le secret de son invention, il crée la porcelaine de Saxe, fonde et dirige la manufacture de Meissen et devient riche à millions !
Böttger
(image extraite de Wikipedia)
Mais le roi de France – en l’occurrence Louis XV – interdit à ses manufacturiers d’importer le kaolin d’Allemagne. La découverte de Saint-Yrieix va donc tout changer. Vive le kaolin français !

Dans notre région, des manufactures sont déjà bien implantées à Lille, Arras, Saint-Amand, Tournai, Valenciennes. Elles produisent soit de la faïence, soit de la porcelaine tendre. L’un de ces manufacturiers nous intéresse tout particulièrement : Jean-Baptiste Fauquez. Son grand-père, Pierre-Joseph, natif de Tournai, avait fondé une faïencerie dans cette ville puis une autre à Saint-Amand ; le père de Jean-Baptiste, Pierre-François-Joseph, né à Tournai en 1713, prit la succession du grand-père mais céda la fabrique tournaisienne à François Péterinck en 1748, lorsque la ville devint momentanément autrichienne.
Jean-Baptiste est né le 13 mai 1742 à Saint-Amand. Il prend la direction de la faïencerie en 1773, une fabrique prospère et renommée. Le métier n’est pas facile ! Le roi, pour protéger la manufacture de Sèvres, interdit dès 1766 aux fabricants « de province » d’utiliser l’or dans leurs décors, et leur rend même obligatoire le camaïeu monochrome, c’est-à-dire l’usage d’une seule couleur dans toutes ses nuances. Tout en poursuivant la production de faïences, Jean-Baptiste Fauquez se lance dans la porcelaine tendre en 1771. Mais les taxes sur le plomb et l’étain, nécessaires pour la finition des pièces, sont lourdes, et ses demandes d’exemption restent vaines. En 1775 il revient à la faïence seule, et la fabrique produit des pièces en faïence fine jusqu’en 1790.

En octobre 1775, il épouse Jeanne Claire Lamoninary qui est une sœur de Charles Lamoninary. Ce monsieur est important dans notre histoire. C’est, si vous me passez l’expression, une « grande gueule ». Sa famille est originaire de Maroilles. Son père, Jacques-Humbert, négociant rue Cardon à Valenciennes, a épousé en 1736 Marie Catherine Mathieu, elle-même fille de Louis Mathieu, Conseiller du roi, et surtout membre de la célèbre « famille Mathieu », celle qui découvrit le charbon au début du XVIIIsiècle à Fresnes-sur-Escaut et à Anzin. (Pour l’anecdote, Jacques-Humbert avait un frère cadet, Jacques-Philippe, qui était professeur de musique et compositeur – ses œuvres sont jouées de nos jours par l’excellent ensemble baroque valenciennois « Harmonia Sacra »).
Charles Lamoninary est né en 1739 à Valenciennes. Il a commencé sa carrière comme avocat au Parlement de Flandres. En 1769, bailli de la terre de Quérénaing, il est nommé juge consul au tribunal de Valenciennes. De 1772 à 1782, il fait partie du « magistrat » (une sorte de conseil échevinal) de la Tannerie, un quartier qui appartenait à l’abbaye de Saint-Jean. Mais surtout, Charles Lamoninary est surintendant du Mont-de-Piété, logé à ce titre dans le bel hôtel particulier des Carondelet. Les jaloux disent – et ils sont nombreux – qu’il ne doit sa situation qu’à la protection de l’Intendant de Valenciennes, Gabriel Sénac de Meilhan, et de son secrétaire.

Le Mont-de-Piété et l'hôtel Carondelet par Simon Le Boucq (1650)
(image de la Bibliothèque municipale)
Aussi, lorsqu’en 1788 il s’oppose à l’organisation des Etats du Hainaut à Valenciennes – réunion durant laquelle le duc de Croÿ et sa maison auraient résidé dans son hôtel particulier – il s’attire des dénonciations sur son train de vie, « sa splendide demeure », « les trop nombreux privilèges attachés à ses fonctions », « les charges qu’entraîne pour la province le luxe immodéré du surintendant. ». Mais Lamoninary tient bon ! Comme on dit, il a des relations. En 1789 il est nommé Lieutenant-Prévôt-le-Comte de Valenciennes (la prévôté est le nom qu’on donnait à la justice royale) et capitaine de la garde nationale. Or « il se montre dans ces fonctions d’une sévérité vraiment draconienne. » C’est peu dire qu’il ne comprend pas que le monde autour de lui s’écroule. Son nom est cité dans une affaire peu glorieuse : lors du siège de 1793, il aurait fait partie d’un groupe de notables qui se seraient cotisés pour offrir un pactole à la garnison en échange de sa capitulation rapide… Les Autrichiens ne prendront la ville qu’après quarante jours de siège ! Là encore, Charles Lamoninary, qui a perdu le Mont-de-Piété dans un incendie, reprend des fonctions publiques. Il fait partie du premier « magistrat » (ou conseil municipal) nommé par les occupants, qu’il accueille avec enthousiasme. Treize mois plus tard, lorsque les Français reprennent la ville, le tribunal révolutionnaire condamne à mort « ceux qui servaient l’étranger ». Lamoninary quitte Valenciennes le 1er juillet 1794 pour se réfugier à Mons, puis à Coblence, puis à Dusseldorf.

Je reviens à Jean-Baptiste Fauquez, qui par son mariage est donc devenu le beau-frère de Lamoninary. C’est lui qui va créer la manufacture de porcelaine de Valenciennes. Après plusieurs requêtes soldées par des refus, il obtient enfin, le 24 mai 1785, l’autorisation souhaitée. Le Roi lui permet, dit l’arrêt, « d’établir à Valenciennes une manufacture de porcelaines fines & communes » ; il ordonne « qu’il ne pourra être formé dans l’étendue de ladite subdélégation aucun établissement du même genre, & ce pendant l’espace de dix ans » ; et il oblige Fauquez à « alimenter ladite manufacture de charbon de terre ».
Voilà un détail important ! Remplacer dans le four le bois par le charbon va mener Fauquez à trouver des alliés compétents. Le premier sera Michel Vanier, un ingénieur originaire d’Orléans qui a essuyé les plâtres de la cuisson au charbon dans une porcelainerie de Lille, sans parvenir à de bons résultats d’ailleurs, mais qui va faire des merveilles à Valenciennes. En 1785, Vanier est nommé directeur de la fabrique. Le second allié de Fauquez sera, vous l’avez compris, Charles Lamoninary, riche de son réseau de relations haut placées et de ses actions dans les compagnies des mines de charbon (pour ses ouvriers aussi, Fauquez s’entourera des meilleurs, repérés dans les porcelaineries de Lille ou de Niderwillers).

Pour l’heure, autorisation obtenue, Fauquez crée deux établissements : un moulin pour broyer les roches, posé sur l’Escaut à hauteur de la Porte Notre-Dame (de nos jours, cela correspond à la Maison des Associations), avec deux turbines mues par une roue à aubes entraînée par le courant ; et la porcelainerie avec ses ateliers et son four, située 30 et 31 rue de l’Intendance, dans le quartier de la Tannerie. Il ne reste plus rien du bâtiment, pourtant classé mais détruit en 1987.

Une partie de la façade de la porcelainerie, années 1970
(image extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)
J’exagère : il reste un vestige, la salle où se trouvait le four. C’est vraiment un « reste » sauvé de la démolition in extremis alors que le promoteur du « Royal Hôtel » voisin s’apprêtait à préparer un beau parking pour ses clients. 


Ce qu'il reste de la salle du four, rue de l'Intendance, extérieur et intérieur
(photos Jean-Christophe Coiffier)
Le four, lui, n’existe plus. En voici un croquis :
(Image extraite du livre d'Alfred Lejeal, planche IV)
Le premier enfournement a eu lieu le 18 novembre 1785, pour cuire 1.548 pièces d’un coup (dont trois moutardiers émaillés, et cinq en biscuit). Le 22 décembre suivant, 2.000 pièces sont enfournées. Il y a peu de perte : 48 pièces seulement lors du premier enfournement ! 
La fabrique de Valenciennes produit de la vaisselle de table, des « services » comme on les appelle. Les décors sont très variés, depuis la fleur de bleuet (le barbeau, ou « décor à la reine ») jusqu’au paysage romantique en passant par les guirlandes et les figures géométriques… L’exécution en est toujours d’une finesse extraordinaire. Le succès a dû être phénoménal, car à la veille de la Révolution la manufacture employait 88 ouvriers, dont 12 peintres.

Guirlandes
Paysage, camaïeu noir
Barbeaux
Tous ces objets collection du Musée
de Valenciennes
(photos personnelles)
Camaïeu manganèse
Bientôt, Charles Lamoninary va se retrouver seul pour diriger la fabrique, car Jean-Baptiste Fauquez est retourné en 1786 s’occuper de sa faïencerie de Saint-Amand, mise en danger par les productions anglaises désormais autorisées à l’importation ; et Michel Vanier est parti à Bordeaux, semble-t-il en 1787.
Ils signent cependant encore tous les trois une pièce de biscuit magnifique de 60 cm de haut qui sort du four de Valenciennes le 30 juin 1786, pièce intitulée « La Descente de Croix » et offerte à Louis XVI en 1790. Elle se trouve aujourd’hui au château de Versailles.
La descente de croix
(image extraite du site amisdeversailles.com)
Ce biscuit est un chef-d’œuvre du sculpteur-modeleur Fickaert (Barthélémy Verboeckhoven de son vrai nom), artiste formé à Anvers puis à Paris. Il voyagea beaucoup et finit par s’installer à Valenciennes, où il créa « les plus belles productions de la manufacture » dit Pierre-Xavier Hans dans sa notice sur cet objet d’art (Société des Amis de Versailles).
A part les biscuits, toutes les productions de la porcelainerie de Valenciennes portent sa marque, un signe qui a évolué au fil des années mais qui a toujours représenté les initiales des « patrons » : F, V et L entrelacés pour commencer, puis V et L quand Fauquez est parti, puis un ou deux L quand Lamoninary est resté seul.

Marque de la porcelaine de Valenciennes
à l'époque Vanier-Lamoninary
Beaucoup plus tard, en 1804, Lamoninary a donné au Préfet du Nord Christophe Dieudonné qui l’interrogeait, des chiffres sur son entreprise. Il se félicite de l’usage de la houille, qui chauffait mieux que le bois et donnait des porcelaines plus blanches et plus solides. La fabrication annuelle de tous les objets, poursuit le Préfet dans son rapport, formait une dépense de 150.000 Fr par an ; le combustible employé ne montait qu’à 8.000 Fr. Ainsi la fabrique pouvait vendre à moindre prix que les autres manufactures où l’on ne brûlait que du bois. D’ailleurs, toute la production se vendait comme des petits pains, « à des particuliers aisés et à des marchands ». En 1794, Lamoninary avait ouvert des magasins à Lille, Douai, Cambrai, Paris, Mons, Bruxelles et Vienne – dit-il.
Mais 1794, c’est l’année de la catastrophe : la manufacture de Valenciennes ferme ses portes le 1erjuillet, jour du départ forcé du citoyen Lamoninary condamné à mort par le tribunal révolutionnaire. Les scellés sont posés le 5 septembre, et le charbon stocké sur place est distribué aux hospices. La fabrique et les marchandises qu’elle contient sont estimés à 71.000 francs. Trois fois, quatre fois, cinq fois la manufacture est mise en vente, et chaque fois Lamoninary, depuis son lieu d’exil, arrive à stopper la procédure à temps. Le Consulat succède au Directoire qui succède aux années noires, et l’ex-surintendant est réintégré dans ses droits, jurant fidélité à la République le 25 août 1801. Revenu à Valenciennes, il y vécut dans une misère épouvantable, sans le moindre sou pour relancer la fabrique. Il finit par se retirer à Nivelles, chez l’une de ses filles, où il mourut en 1818.
Jean-Baptiste Fauquez, de son côté, a également émigré pour se réfugier à Prague. Revenu en France en 1801, il tenta vainement de remettre sur pied son usine de Saint-Amand. Il se retira alors à Tournai, où il est décédé le 9 mars 1804. Il laissait un fils, Jean-Baptiste-Marie Fauquez, né à Valenciennes en 1778 et mort à Tournai en 1843. Ce fils était amateur d’art. Il légua ses biens à la cathédrale de Tournai, en échange entre autres d’une messe de requiem en l’honneur de Louis XVI et Marie-Antoinette à célébrer tous les 21 janvier à perpétuité. Cette messe existe toujours, à Tournai.

Où peut-on, aujourd’hui, voir les porcelaines de Valenciennes ? La ville en possédait autrefois beaucoup, mais elles étaient gardées à l’hôtel de ville et elles ont disparu lors du grand incendie de 1940. Le musée de Valenciennes a fait depuis lors quelques acquisitions, et présente de temps en temps dans ses vitrines la cinquantaine de pièces qu’il possède. Le Victoria and Albert Museum de Londres en a quatre ! Quant aux collectionneurs, ils les pistent et les inventorient avec autant de plaisir que de fierté à mettre en lumière une production aujourd’hui totalement oubliée.
C’est aussi l’objectif d’une association nouvellement créée : l’Association des Amateurs de la Porcelaine de Valenciennes, née de l’initiative de collectionneurs, du musée et du service culturel de la mairie de Valenciennes.


Carte postale vendue par l'association
2APV@orange.fr


Nota : Pour tout savoir sur la porcelaine de Valenciennes, il faut consulter une « bible », un livre rédigé par le Docteur Alfred Lejeal en 1868, « Recherches historiques sur les manufactures de faïence et de porcelaine de l’arrondissement de Valenciennes ». La plupart de mes informations proviennent de ce livre.

dimanche 16 février 2020

Qui sont ces timbrés de la vignette postale ?

Aujourd’hui je vais faire court ! Juste trois mots à propos des collectionneurs de timbres, notamment ceux qui adhèrent au Club Philatélique du Valenciennois – au 31 décembre 2019, ils étaient exactement 133.
L’histoire de ce Club commence en 1925, au lendemain de la première guerre mondiale. La paix revenue, chacun peut retourner à ses passe-temps favoris : quelques passionnés de timbres se réunissent ainsi au Café de Paris, Place d’Armes, pour échanger soit des vignettes soit des avis et des conseils. Le « livre d’or » du Club a retenu les noms de ces pionniers : Mr Abel Mohin, négociant en timbres ; Mr Cliche, « possesseur d’un stock extraordinaire de timbres » ; Mr Naoumof, « grand collectionneur de Russie », etc. Ces réunions étaient si prisées que fut décidée, en 1930, la création d’une association : le Club Philatélique Valenciennois était né. Abel Mohin fut son premier président, jusqu’en 1938 [1].

Assemblée générale du Club Philatélique du Valenciennois, le 2 février 2020
à la Maison des Associations
(photo personnelle)

Le Club d’aujourd’hui est son descendant direct, si j’ose dire. Tandis qu’une branche dissidente prenait le large en 1933 pour garder son indépendance sous le nom de Groupement philatélique du Hainaut français, le Club Philatélique du Valenciennois s’est rallié à la Fédération française des associations philatéliques. Il s’est structuré en différents services (nouveautés, bibliothèque, fournitures, etc.), et a ouvert l’éventail de ses activités à la cartophilie, la numismatique, sans oublier l’initiation des jeunes collectionneurs.
Il participe à de nombreuses manifestations, notamment bien sûr celles qu’il organise lui-même ! La prochaine se tiendra les 28 et 29 mars 2020 : sous l’intitulé « Le timbre prend la route », une exposition célèbrera à Valenciennes le vingtième anniversaire de la Fête du Timbre. 

Affiche de la 20e Fête du Timbre en France
Nos « timbrés valenciennois » seront également présents à Paris au mois de juin pour « Paris-Philex 2020 » organisé par la Fédération, et à Calais au mois de novembre pour l’exposition annuelle régionale. Et surtout, inscrits à l’agenda du Club et actuellement en pleine préparation, organisés par lui à la Cité des Congrès de Valenciennes, deux événements qui s’annoncent mémorables : le Challenge européen de maximaphilie, et Phila-France, congrès et exposition nationale, qui se tiendront tous les deux au mois de mai 2021.
La maximaphilie s'intéresse aux cartes postales portant un timbre du côté de la vue
(souvent le timbre représente la vue de la carte, en réduction)
et oblitérées si possible "premier jour"
(image extraite du site Les Maximaphiles Français)

Voilà pour l’histoire contemporaine. Mais quelle fut l’activité philatélique des Valenciennois avant 1925 ? Je suis sûre que, comme moi, vous vous posez la question. Je vais y arriver, après une petite digression.
En effet, j’aimerais ici vous raconter l’histoire [2] du « timbre de Valenciennes », émis par la Chambre de Commerce en 1914 pour permettre aux habitants – et aux entreprises – de continuer à échanger du courrier pendant l’occupation allemande et la fermeture des services postaux français. 
Jules Turbot
portrait publié dans le Gauvin-Camarty

Dès l’arrivée des Allemands en ville, le 25 août 1914, le président de la Chambre de Commerce de l’époque, Jules Turbot, demande aux nouvelles autorités la permission de mettre en place une organisation postale sur l’arrondissement de Valenciennes. Autorisation accordée, sous réserve que les lettres restent ouvertes et qu’il n’y soit fait aucune mention des armées belligérantes. Pour assurer le transport des plis, on crée un timbre spécial, de dix centimes. Ce timbre est imprimé à Valenciennes, en un peu plus de 9.000 exemplaires, chez Dehon et Lasseron, rue de Hecques. 

(image extraite du site francephilatélie.com)

Le service commence à fonctionner dès le 7 septembre, et aussitôt Jules Turbot s’avise de l’étendre aux territoires voisins : Solesmes, Le Quesnoy, Cambrai, Douai, toujours avec l’accord des Allemands. Tout cela marche très bien, sauf que, le 25 septembre, un nouveau commandant militaire y met son grain de sel : il exige que les lettres portent un visa, après inspection. Qu’à cela ne tienne, le visa sera apposé, dans le petit bureau de poste installé au rez-de-chaussée de la Chambre de commerce. Mais un mois plus tard, le 25 octobre, suite à un concours de circonstances, Jules Turbot est convoqué à Lille. Il apparaît que le quartier général allemand n’était pas au courant de l’existence du service postal valenciennois. Jules Turbot a beau jurer ses grands dieux qu’aucune activité d’espionnage n’est couverte par son invention, les Allemands suspendent leur autorisation le 30 octobre. Fin de l’utilité du « timbre de Valenciennes », qui entre illico dans la catégorie des raretés pour collectionneurs !

Les amateurs le savent, le premier timbre français, le « Cérès noir de 20 centimes », a été émis en 1849.

(image extraite de Wikipedia)

Dès 1850-51, les premiers collectionneurs apparaissaient (le tout premier serait un Mr Vetzel de Lille, à moins qu’il ne s’agisse d’un Mr Mancin, de Paris). Ils se réunissaient pour des bourses d’échange, notamment dans les jardins des Tuileries à Paris. En province aussi, des sociétés de « philatélie » sont fondées (le mot est créé à cette époque), la première à Nevers en 1865.
Chez nous, il faut attendre 1893 pour que voie le jour la « Société de Timbrologie de Valenciennes ». Ses fondateurs lui donnent comme objectif « l’étude des timbres considérés soit en eux-mêmes, soit dans leurs rapports avec la chronologie, l’histoire et la géographie, l’administration et les finances, la linguistique et les beaux-arts, » annoncent les statuts. Aujourd’hui les archives de la Société ont disparu et on ignore la teneur précise de ses activités. Mais un petit fascicule, précieusement conservé par le Club Philatélique dans son « livre d’or », indique les noms des membres de son Conseil d’administration pour l’année 1895-1896 :

 

Jules Giard-Motte est mon arrière-grand-père ; René Giard, son fils, est mon grand-père.


[1] Voici la liste des présidents depuis 1930 : Abel Mohin (1930-38), Joseph Rouzé (1938-48), Maurice Servonnet (1848-71), Gontran Delattre (1971-76), André Derville (1976-85), Georges Bassement (1986-88), Jean-Marie Defauquet (1989-98) et Daniel Savignat (1999 à aujourd’hui).
[2] Cette histoire est racontée en détail dans un petit opuscule, « Le timbre de la Chambre de Commerce de Valenciennes », écrit par André Gauvin et René Camarty (non daté). Je remercie Daniel Savignat de me l’avoir prêté.