jeudi 31 décembre 2020

Quelle est cette cour qui court derrière le roi ?

Début mai 1744, le roi Louis XV se rend dans ses contrées de Flandre et de Hainaut, à l’époque placées sous la gouvernance du duc de Boufflers. Son propos est de visiter la région et ses installations militaires, ainsi que de « ranimer le courage des soldats » en pleine guerre de succession d’Autriche. Valenciennes se trouve bien sûr au nombre des étapes.

Louis XV (1710-1774). Portrait vers 1750 par Van Loo
(image Wikipédia)

 

Louis XV part de Versailles le 3 mai à 4h du matin. « Le marquis de Meuse-Choiseul, lieutenant-général de ses armées, & le complaisant de ses petits appartements partait avec lui, de même que le confesseur & l’aumônier [1] » Il arrive d’abord à Péronne, où il passe la nuit, puis se remet en route pour rejoindre Cambrai où il « fit sa prière à la Vierge dans la cathédrale », et atteint Valenciennes le 4 mai dans l’après-midi.

 

Dès le 1er mai, ces messieurs du Magistrat ont été officiellement prévenus de l’arrivée du souverain. D’ailleurs, résident déjà en ville depuis quelques jours, des lieutenants généraux et maréchaux de camps et une vingtaine de ducs parmi lesquels le duc de Chartres, le comte de Clermont, le duc de Penthièvre.


Louis-Philippe d'Orléans (1725-1785, duc de Chartres jusque 1752.
Portrait vers 1752 par Alexandre Roslin
(image Wikipédia)

Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont (1709-1771).
Portrait par François-Hubert Drouais
(image Wikipédia)

 

Louis de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1793)
(image Wikipédia)


Valenciennes recevant le roi, elle soigne son accueil ! La porte de Tournai étant la plus belle porte de la ville, c’est par là que le souverain entrera (alors qu’il arrive de Cambrai). Le chemin est balisé, si j’ose dire, par les gens en armes : la maréchaussée, les cinq compagnies bourgeoises en uniforme et armées (il s’agit des « serments [2] »), trois escadrons de cavalerie du Régiment de Noailles, et encore trois bataillons du Régiment de Bourbonnais, tous ces soldats placés en haie jusqu’à la ville. Quant aux membres du Magistrat, ils attendent leur royal visiteur dans une tente dressée à côté de la porte.

 

Et le voici ! Vers les trois heures et demie, Louis XV dans son carrosse pénètre en ville, accompagné de toutes les cloches et carillons sonnant à toute volée. Il est précédé, dit la chronique, « des Princes du Sang, de M. le Maréchal de Noailles, de M. le Comte d’Argenson, Ministre de la guerre, des Ducs, Lieutenants généraux, Maréchaux de camp, & elle était escortée (sa majesté) par un détachement des Mousquetaires, des Gardes du Corps & des Carabiniers. [3] » Quelle foule !

 

Adrien Maurice de Noaille, maréchal de France (1678-1766)
(image Wikipédia)

   

Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d'Argenson (1696-1764)
(image Wikipédia)


 

Joseph-Marie duc de Boufflers (1706-1747)
(image Wikipédia)

 

Le duc de Boufflers, qui avait été au-devant du roi jusqu’à Péronne, descend le premier de son carrosse pour servir de lien, en quelque sorte, entre le souverain et les membres du Magistrat. C’est devant lui que Louis XV s’arrête, alors que tout le monde met genou à terre. C’est lui qui prend la clé de la ville des mains du Prévost et les remet au roi, et c’est à lui que le roi les rend pour qu’il les rende au Prévost (ce prêté-rendu des clés s’effectuera de la même façon à Lille quelques jours plus tard). C’est Boufflers encore qui présente au roi, par leur nom, les officiers de l’Etat-major.

Cette cérémonie ayant eu lieu, Louis XV entra dans Valenciennes dans son carrosse, accompagné de « Monsieur le Premier » (c’est-à-dire l’officier en charge de la petite écurie à Versailles), du duc d’Ayen et du duc de Richelieu, salué de trois salves d’artillerie.

 

Louis de Noailles, duc d'Ayen (1713-1793)
(image Wikipédia)


Louis de Vigneron du Plessis, duc de Richelieu (1696-1788)
Portrait par Nattier
(image Wikipédia)



Les rues empruntées par le cortège étaient sablées, ornées de tapis et bordées de troupes. Le roi allait loger à l’Intendance, avec toute sa garde composée d’un colonel, d’un lieutenant-colonel, d’un major, d’un aide-major, de six capitaines, six lieutenants, deux enseignes, douze sergents et trois cents hommes y compris les tambours [4] ! Oui, il faut tout ce monde pour « garder » le roi de France !

Le soir, tandis que le roi soupait « à son grand couvert » (je présume que cela veut dire à grands frais !), les habitants ont fait des illuminations sur leurs maisons et des feux devant leurs portes, comme les y avait invités une ordonnance du Magistrat.

 

Le lendemain, 5 mai, le roi dès 10h du matin visite la ville avec les princes, les officiers généraux et les ingénieurs. Faisant le tour par l’extérieur, « il vit des fortifications pour la première fois de sa vie, » s’exclame le duc de Richelieu – fortifications auxquelles il s’intéresse de près et qu’il examine avec soin. L’après-midi c’est l’arsenal et le magasin au blé qui retiennent son attention. Enfin, le 6 mai, le roi est reçu à la citadelle : il s’y rend en carrosse, salué à son entrée (et à sa sortie) par le son du canon.

 

Entrée de la citadelle de Valenciennes, à la fin du XIXe siècle
(image extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)


Au chapitre des plaisirs, le 6 mai est donnée une représentation de Zaïre en présence de son auteur, Voltaire. L’écrivain accompagne en effet le déplacement royal, avec la marquise du Châtelet, sa maîtresse depuis une dizaine d’années – tous deux logent à « l’Aigle rouge ». Gabriel Hécart [5] raconte à ce propos une amusante anecdote. A peine arrivé à Valenciennes, rapporte-t-il, Voltaire reçut de nombreuses invitations à dîner. Il en accepta une, mettant les convives dans l’extase à l’idée de mener conversation avec un homme de lettres aussi réputé. Hélas, flairant l’intention, Voltaire garda à table « un silence obstiné », ne répondant que par oui ou par non aux questions qui lui étaient posées. Le repas terminé, il prit congé, plantant là son monde un peu ahuri. C’est donc ça, Voltaire ? firent les convives déconfits. Il n’a aucune conversation ! Forcément : il ne sait pas boire ! (Voltaire était resté très sobre). C’est le vin qui donne de l’esprit ! Et Hécart de conclure son histoire : « il fut décidé qu’on se vengerait sur les bouteilles ». 

 

Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, femme de lettres (1706-1749)
Portrait par Quentin de La Tour
(image Wikipédia)

  

François-Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778).
Portrait vers 1737 par Quentin de La Tour
(image extraite du site cosmovisions.com)

 

Je reviens à Louis XV : les trois jours suivants sont consacrés à quelques excursions, telles la visite de Condé, du Quesnoy (deux villes dotées de belles fortifications) et de la manufacture d’armes de Maubeuge.

 

Le 10 mai, de retour à Valenciennes, Louis XV assiste à la messe à Notre-Dame-la-Grande, puis travaille avec ses ministres jusqu’à 9h du soir. « Il tient un conseil de guerre, indique Jean-Pierre Bois [6], et la décision est alors prise de mettre le siège devant Menin, premier objectif de la campagne de Flandre. » 

 

Intérieur du choeur de Notre-Dame-la-Grande,
d'après le manuscrit de Simon Leboucq
(Revue du Nord, n) 245, année 1980)


Façade de l'Hôtel de ville de Valenciennes au XVIIIe siècle
(image extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)


Le roi se rend ensuite à l’Hôtel de Ville pour profiter de la fête organisée en son honneur. Ces messieurs du Magistrat l’accueillent en bas du grand escalier, que Louis XV gravit avec ses « princes et seigneurs » pour prendre place au balcon. Là, il est invité à mettre le feu à une mèche qui, en se consumant, va enflammer un grand feu de joie dressé au milieu de la place d’Armes. On dit qu’il resta près d’une demi-heure au balcon, à profiter de l’allégresse ambiante ! Et en effet le bon peuple pouvait être joyeux, puisque « les membres du Magistrat firent couler ce jour-là deux fontaines de vin aux deux extrémités de l’Hôtel de Ville [7] » !

 

Le 11 mai, Louis XV quitte Valenciennes à 8h du matin, destination Douai puis Lille. Il est enchanté de son séjour, de ses rencontres, de ses visites – on sait que c’est à sa demande que sera construit l’Hôpital Général à partir de 1752.

On sait aussi que le roi vivait là ses derniers mois de « Bien Aimé ». En août 1744, tombant gravement malade durant le siège de Metz, Louis XV est obligé de confesser publiquement tous ses péchés (pour aller tout droit au paradis, au cas où tout ça tournerait mal), dévoilant au peuple l’ensemble de ses turpitudes car la confession était lue dans les églises. Il s’est ainsi gravement discrédité, tout en recouvrant une excellente santé.

Sic transit gloria mundi.



[1] Mémoires du maréchal duc de Richelieu, tome 7, chapitre 12 : Les campagnes de Louis XV en 1744.

[2] Voir dans ce blog mon article « Quelle est cette impasse au milieu des jardins ? » posté en mars 2019.

[3] L’histoire est racontée dans l’Almanach de Valenciennes de 1787.

[4] Almanach de Valenciennes, op. cit.

[5] Recherches historiques, bibliographiques, critiques et littéraires sur le théâtre de Valenciennes par Gabriel Antoine Joseph Hécart, chapitre VII, 1816.

[6] Maurice de Saxe par Jean-Pierre Bois, chapitre 8 (1992).

[7] Almanach de Valenciennes, op. cit.