samedi 28 novembre 2020

Qu'ont-elles en commun, ces deux célèbres dames ?

 

















Il y a quelque chose d’émouvant à regarder aujourd’hui cet extrait de l’émission « Discorama », où Marie Laforêt répond aux questions de Denise Glaser, en mars 1966.

https://www.youtube.com/watch?v=NOv8YPGaW3U

 

Quelque chose d’inexprimable, même ; car en 1966 elles ignoraient qu’elles auraient un point commun – tandis que nous, aujourd’hui, nous le savons. Ce point commun c’est Valenciennes.

 

Au cours de leur vie, Marie Laforêt et Denise Glaser ont eu un premier point commun : la traversée des années de guerre. Née à Arras (Pas-de-Calais) en novembre 1920, Denise Glaser était la fille de commerçants qui vendaient des vêtements. Tenu par des juifs, le magasin est confisqué et aryanisé en 1942. Denise est réfugiée à Clermont-Ferrand, elle entre dans un réseau de résistance, elle se dira plus tard très marquée par la réalité des fours crématoires…

Marie Laforêt – ou Maïtena Doumenach, c’est son nom – a quasi vingt ans de moins, née en octobre 1939 à Soulac-sur-Mer en Gironde. Son père, prisonnier de guerre, ne rejoindra sa famille qu’après la libération. Chassées de Soulac, Marie, sa mère et sa sœur se réfugient à Cahors puis en Ariège, où les attend une vie de privations. L’absence de son père dans sa petite enfance vaudra à Marie Laforêt de très mauvais souvenirs…

 

Alors Valenciennes ?

Pour Marie Laforêt, Valenciennes c’est l’école des filles puis le lycée Watteau, une petite parenthèse dans sa vie d’écolière. Elle arrive dans la région en 1945, elle n’a pas encore six ans. Au sortir de la guerre, son père, polytechnicien, a été nommé directeur de la société Franco-Belge qui construit des locomotives à Raismes. Elle raconte, dans son livre Contes et légendes de ma vie privée (Stock, 1981), ses souvenirs de ces années partagées entre école, goûters chez la voisine, et grèves des ouvriers… Elle a vécu ici jusqu’à sa classe de 5e, en 1951-52.

Pour Denise Glaser, Valenciennes c’est … le cimetière. Elle est morte le 6 juin 1983 à Paris, dans une extrême pauvreté et une totale solitude, et fut inhumée dans un caveau familial qui se trouve dans le carré juif du cimetière Saint-Roch. Elle avait côtoyé les plus grands artistes, les avait tous reçus dans son émission diffusée tous les dimanches de février 1959 à juin 1968, puis de manière plus épisodique jusqu’en janvier 1975. On dit que personne n’est venu à son enterrement, sauf les chanteuses Barbara et Catherine Lara.

1983, c’est l’année de la mort du père de Marie Laforêt, elle-même étant décédée fin 2019.

 

Voulez-vous un troisième point commun ? Regardez-les se parler sur les images de « Discorama » : elles ont toutes les deux des yeux extraordinaires. 

vendredi 27 novembre 2020

Qui sont ces maîtres-enchanteurs qui égayèrent la fête ?

Mi-septembre 1852, Valenciennes s’apprête à célébrer sa Fête patronale, à grand renfort d’événements et de récréations destinés à divertir la population. Au nombre des festivités, on annonce l’organisation d’un concert dont la grande vedette sera Gueymard, le ténor lyrique de l’Opéra de Paris, rien moins que le Pavarotti de l’époque !  

L'Echo de la Frontière, 18 septembre 1852
(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

Louis Gueymard (1822-1880)[1] a été découvert par un chef d’orchestre lyonnais, qui l’entend chanter alors qu’il travaille aux champs avec son père et l’encourage à « quitter la charrue pour la musique ». Après les cours du Conservatoire de Paris, il débute à l’Opéra en 1848 dans le rôle de Robert le Diable (opéra de Meyerbeer), rôle qu’il chantera année après année… 

 

Louis Gueymard en 1864
(photo extraite du site artlyriquefr.fr)

 

En cette année 1852, Gueymard touche à l’Opéra de Paris 45.000 fr pour une saison de huit mois ; ce n’est pas le contrat le plus cher : l’autre ténor de l’Opéra, Gustave Roger, reçoit 60.000 fr pour huit mois. Les critiques admirent Gueymard pour sa voix, « solide et infatigable », « organe magnifique », « grande sonorité et mâle franchise ». Ils sont plus sévères quand ils parlent du chanteur, « médiocre », « laborieux », « un avare qui ménage son trésor ». L’un d’eux prévient : « Une preuve des ménagements qu’il a pour sa voix : jamais Gueymard ne chantera en dehors de l’Opéra. Vous le demandez pour une œuvre de bienfaisance, il trouvera mille prétextes pour refuser de chanter. Rendons-lui cette justice, que ces prétextes seront accompagnés d’un billet de 500 francs, qu’il enverra pour les pauvres. »

 

Autre nom à l’affiche du grand concert du 20 septembre : Zoé Duez. Cette soprano est née à Lille en 1830, et a commencé sa carrière lyrique à Bruxelles en 1850. Elle est engagée à l’Opéra de Paris précisément en septembre 1852. Débutante, elle est mal connue des aficionados ; Meyerbeer, de passage à Valenciennes quelques jours avant le concert, et à qui on demande son avis, avoue que « il ne la connaît pas, mais il assure que des artistes distingués qui l’ont entendue, lui en ont dit le plus grand bien [2]. » Nous voilà rassurés !

 

Zoé Duez
(image extraite du site artlyriquefr.fr)


Le harpiste Félix Godefroy (1818-1897) est lui aussi une grande vedette de l’époque. C’est un instrumentiste hors pair, également compositeur pour la harpe et pour le piano. Né à Namur, c’est à Paris qu’il a suivi les cours de harpe du Conservatoire. C’est un virtuose qui connaîtra une magnifique carrière de soliste. 

 

Félix Godefroy en 1851
(image extraite du site BnF Data)


Voici un exemple d’une de ses compositions pour la harpe (de 1878) : 

https://www.youtube.com/watch?v=cRdzHgCrEww

 

A la tête de l’orchestre de l’Académie de musique de Valenciennes, qui se produira lors du « grand concert » du 20 septembre, on trouve Albert Seigne. Il est né à Tournai en 1822 (fils d’un maître à danser français), et est admis au Conservatoire de Liège en 1831. Il y suivra les cours de solfège et de violon jusqu’en 1837. Au passage, j’aime vous rapporter cette anecodte : « Le 24 août 1832 [il a dix ans], il obtient un second prix de solfège, cité après César Franck qui remporte, lui, un premier prix à l’âge de neuf ans et demi. Le 27 février 1834, Seigne obtient un premier prix de solfège et un accessit au violon, tandis que Franck a un premier prix de violon [3]. » Quand on connaît le destin du grand compositeur César Franck, on constate que Seigne ne concourait pas avec la piétaille ! A quinze ans il est nommé troisième chef d’orchestre au Théâtre royal de Liège, et en 1840 il devient professeur de violon au Conservatoire, toujours à Liège. Il devient ensuite chef d’orchestre à Caen, au Havre, à Brest, à Strasbourg, à Lille… et à Valenciennes.

 

La date approche et les préparatifs vont bon train, notamment au Théâtre qui se trouve alors sur la Place d’Armes, à côté de l’Hôtel de Ville.

 

 

Le joli théâtre de Valenciennes au début du XXe siècle
(photo extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)
Tout le bâtiment a disparu, avec le reste de la place, dans le grand incendie de 1940.



























La construction de cette Salle de Spectacles – comme on l’appelle, plutôt que « théâtre » - remonte à 1781. Sa façade, de style ionique, a été dessinée par M. de Pujol alors prévôt de la ville. L’Indicateur de Valenciennes, en 1826, se félicite : « La salle est d’une coupe heureuse, et certainement la plus belle du département. » Les premières peintures intérieures ont été détruites par les bombardements autrichiens en 1793 ; le peintre Adrien Coliez (1754-1824), de Valenciennes, a donc été appelé pour refaire les décorations : il s’était fait une spécialité des décorations de maisons, d’hôtels particuliers, de théâtres… et des décors de scène.

 

Exemple de décoration de Coliez pour un "dessus de porte" d'hôtel particulier
(image extraite du site pop.culture.gouv.fr)

 

La date du concert approche et patatras : la municipalité apprend que Louis Gueymard ne viendra pas ! « Par une circonstance due à une indisposition de Mme Tedesco [4], écrit L’Echo de la Frontière, M. Gueymard est forcé de rester à Paris par suite des exigences du répertoire. » C’est une catastrophe pour les organisateurs (et ça nous rappelle le critique cité plus haut) ! Et l’on apprend que « le professeur envoyé une première fois à Paris (sans doute Albert Seigne), dut revenir en hâte à Paris (le 18 septembre !) pour négocier auprès de quelque autre grand artiste. »

Eh bien, aussi incroyable que cela paraisse, cet autre grand artiste sera Gustave Roger, l’autre ténor de l’Opéra. Monsieur Gueymard avait demandé 1.000 francs pour sa prestation ; Monsieur Roger a cédé à la supplique de Seigne pour 1.500 francs !

 

Gustave Roger (1815-1879) est devenu ténor lyrique contre l’avis de ses parents, qui voyaient en lui un notaire. Après des études au Conservatoire de Paris il fit ses débuts à l’Opéra-comique en 1838, où il connut un grand succès. Engagé à l’Opéra de Paris en 1848, il y chanta les grands rôles mais « sa voix, charmante mais d’un volume trop faible, s’y brisa en peu de temps. » Par-dessus le marché, il fut victime en 1859 d’un accident de chasse qui lui fit perdre le bras droit. Sans son bras, sans sa voix, il tenta de se faire comédien, mais finit comme professeur de chant au Conservatoire en 1869.

 

Gustave Roger
(image extraite du site artlyriquefr.fr)

A l’époque où il vient chanter à Valenciennes au débotté, le ténor est au sommet de son art. L’Echo de la Frontière se fait l’écho, justement, de l’enchantement que « le roi des ténors » produit sur le public en cette matinée du 20 septembre : « Roger a chanté l’air magnifique de Joseph [5]. Noblesse, sensibilité, accent dramatique, tout cela est réuni dans la manière dont ce grand artiste interprète ce chef d’œuvre. » Surtout, Gustave Roger ne manque pas de mettre à son répertoire des œuvres du compositeur valenciennois Edmond Membrée – notamment une ballade intitulée Page, écuyer et capitaine (https://imslp.org/wiki/Page,_%C3%A9cuyer,_capitaine_(Membr%C3%A9e,_Edmond)) ballade que, en vérité, il interprète dans chacun de ses tours de chant car, composée en 1851, elle lui a été dédicacée (« à son ami G. Roger ») par l’auteur.

 

Edmond Membrée (1820-1882), né à Valenciennes, a étudié l’harmonie et la composition au Conservatoire de Paris. Ballades, cantates, opéras, il compose essentiellement des œuvres vocales. On lit dans l’Encyclopédie de la musique et Dictionnaire du Conservatoire qu’il était appelé « l’homme des pièces reçues car, dès qu’un théâtre ouvrait ses portes, il s’y précipitait pour faire agréer une des nombreuses œuvres qui dormaient dans ses cartons [6]. »

 

Edmond Membrée
(photo extraite du site Paris Musées)

 

Dans son compte-rendu paru le 23 septembre, L’Echo de la Frontière nous apprend la présence d’un quatrième artiste : « Un très jeune violoniste, M. Monasterio, a complété ce concert, en déployant un talent que bien des artistes arrivés à l’apogée de leur carrière, lui envieraient. » Il s’agit de Jesus de Monasterio (1836-1903), un virtuose tout jeune en effet en 1852 (16 ans), un Espagnol formé au Conservatoire de Bruxelles, et qui connaîtra dans son pays une gloire sans pareille comme violoniste, comme compositeur et comme enseignant (il aura pour élève Pablo Casals). Sa présence sur la scène de Valenciennes ce 20 septembre montre assez qu’Albert Seigne savait choisir ses artistes interprètes !

 

Monasterio en 1866
(image Wikipedia)

 

Un succès, alors, ce concert ? Bien rattrapée, l’absence du ténor Gueymard ? Satisfaite, la municipalité de Valenciennes ? 

Eh bien, non. Car l’histoire ne s’arrête pas là.

 

Le 7 juillet 1853, la presse valenciennoise diffusait un communiqué repris également par la presse spécialisée dans la musique, qui montre que le maire de Valenciennes (Honoré Carlier-Mathieu, tout juste élu le 18 septembre !) n’a pas du tout apprécié les improvisations du programme.

Le communiqué précise que la représentation du 20 septembre « devait être aussi l’occasion d’une œuvre pieuse » : les pauvres de Valenciennes devaient profiter des bénéfices du concert. Certes, le concert a eu lieu ; mais la nouvelle de l’absence de Gueymard s’était propagée en ville, tandis que la présence de Roger n’avait pas pu être annoncée. « Un grand nombre de personnes, restées dans l’incertitude, s’abstinrent de prendre des billets, si bien que les frais ne furent pas couverts. » Et l’on n’eut rien à donner aux pauvres.

Le maire de Valenciennes a donc décidé – approuvé par son conseil municipal et autorisé par le préfet – d’assigner Louis Gueymard en justice pour exiger de lui « le dédit de 1.000 francs stipulé lors de l’engagement fait par ce dernier de venir chanter. » 

Peine perdue : le tribunal a estimé que le maire, en acceptant Monsieur Roger contre Monsieur Gueymard sans protester, avait ratifié l’échange et qu’il avait ainsi exonéré Louis Gueymard de toute obligation. La demande du maire a été rejetée. 

 

En France, dit-on, tout finit par des chansons. Cette fin-ci ressemble plutôt à une fausse note.

 

 

Pour information, je vous donne le programme entier 

des festivités de ce mois de septembre 1852 :

 

9 au 18 septembre : exposition agricole départementale du Nord, 

à l’Hôtel de Ville.

12 septembre : procession du Saint-Cordon 

en présence de l’Archevêque.

13 septembre : bénédiction de la première pierre 

de l’église Notre-Dame du Saint-cordon

15 septembre : ouverture de la Foire de Valenciennes

16 septembre : ouverture du Congrès des agriculteurs 

du Nord de la France, à l’Hôtel de Ville.

(18 septembre : élection d’un nouveau conseil municipal)

19 septembre à St-Amand : concours agricoles 

(bestiaux, instruments, labourage).

19 septembre et jours suivants, jeu de balle sur la Place Verte.

19 et 20 septembre : tir à l’arbalète sur l’Esplanade ; 

tir à la perche à St-Waast-là-haut.

20 septembre à onze heures du matin : 

grand concert vocal et instrumental à la Salle de Spectacle.

20 septembre à deux heures : distribution des récompenses agricoles, 

à la Salle du Théâtre.

26 et 27 septembre : tir à l’arc à la perche sur l’Esplanade ; 

tir à la cible pour la garnison.



[1] Presque toutes mes informations sur les musiciens cités ici proviennent d’un site internet merveilleux : artlyriquefr.fr

[2] L’Echo de la Frontière, 9 septembre 1852.

[3] J. Muller, « Influence de l’enseignement liégeois sur l’école française de l’alto » in Revue belge de Musicologie n° 47 (1993).

[4] Fortunata Tedesco, contralto née en Italie en 1826, retirée de la scène en 1866.

[5] Composé par Etienne Méhul, l’auteur du célèbre Chant du départ.

[6] Encyclopédie de la musique et Dictionnaire du Conservatoire, par Albert Lavignac et Lionel de la Laurencie, Librairie Delagrave, Paris, 1931.

dimanche 15 novembre 2020

À quelle heure part la diligence ?

Il m’arrive (il m’arrivait, avant le confinement) de choisir de passer la journée à Paris, en prenant le train le matin et idem le soir, moins de deux heures de trajet, tout ça pour trois clopinettes grâce à ma carte « Avantages Seniors ». Le rêve pour un Valenciennois de l’ancien régime ! Voyager, avant la Révolution, c’était quasi la galère. Il fallait prévoir, organiser, et sortir son porte-monnaie. C’était donc réservé (je pense) aux personnes bien portantes, et bien argentées.

Imaginez donc que nous sommes en 1786 (c’est la date de l’Almanach [1]que j’ai consulté) et que nous souhaitons, vous et moi, nous rendre à Paris pour affaires. Depuis que Colbert s’y est intéressé, un siècle plus tôt, l’administration des routes est prise un peu plus au sérieux. Elles ont été classées selon le trafic attendu et un budget a été créé pour leur entretien. Le réseau se développe, même si elles ne sont encore faites que de pierres et de cailloux.

A la toute fin du XVIIe siècle, la diligence a commencé à remplacer le coche, notamment pour les longs déplacements. Aussitôt des entrepreneurs se lancent dans des « services de diligence » à titre privé. C’est le cas à Valenciennes ; l’Almanach cite les noms des directeurs : Messieurs Delcourt et Meurice rue Capron, Bécourt rue Cardon, Martin rue de Cambrai, Nollet puis Lasselin à la Placette, tous s’occupent de vous faire voyager avec autant de régularité que possible.

 

Victor Venner, "La diligence devant l'auberge", sur le site coutaubegarie.com

 

« Les diligences, explique Mireille Pailleux [2], sont vers 1760 des voitures énormes, pouvant transporter seize voyageurs, compartimentées : à l’avant le coupé (trois places de luxe), l’intérieur où l’on trouve deux banquettes de trois places chacune, en vis-à-vis, et à l’arrière la rotonde comprenant deux places. L’impériale comporte trois places, les moins chères, donc exposées aux intempéries. »

Je ne trouve pas, dans mon Almanach valenciennois, de tarifs différenciés selon la place qu’on occuperait dans la diligence. On paye à la distance : pour Valenciennes-Sedan, prévoyez 16 livres et 10 sous ; pour aller à Lille, 10 livres ; Douai et Maubeuge sont plus proches, 3 livres et 10 sous seulement ; pour Valenciennes-Paris il faut sortir une fortune : 40 livres et 4 sous ! Et si vous avez des bagages, vous payez un supplément, toujours en fonction de la distance à parcourir.

Parfois cette distance est assez courte pour que le tarif ne dépasse plus la livre : 30 sous pour aller au Quesnoy, 20 sous pour aller à Condé, ce sont vraiment deux villes voisines.

 

Alors, à quelle heure part la diligence ?

Pour Sedan, on ne sait pas ! On sait qu’elle arrive à Valenciennes le lundi à 11h du matin et qu’elle part tous les mardis. Elle « loge » (comme dit l’Almanach) au Pot d’Etain, 31 rue Cardon. Pour parcourir les quelque 145 kilomètres, la diligence met presque quatre jours, arrivant à destination dans la journée du vendredi. Elle annonce en effet plusieurs étapes, pour dîner (à midi) et pour coucher – et pour s’occuper des chevaux !

C’est au Pot d’Etain aussi qu’on peut prendre la diligence pour Le Quesnoy (16 km), l’après-midi des lundi, mercredi et samedi, à 2h en hiver et à 4h en été.

 

Lille n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres, que la diligence parcourt en une journée, passant par Saint-Amand, Orchies et Pont-à-Marcq. Elle part de la Placette (dans le quartier de l’esplanade), chaque lundi, mercredi et vendredi, à 6h du matin. S’adresser à Monsieur Nollet (en 1786), l’année suivante à Monsieur Lasselin.

 

Le Lion d’Argent, au 23 rue de Cambrai, « loge » deux diligences : l’une pour Douai, l’autre pour Maubeuge. Le trajet pour Maubeuge s’effectue via Bavay, un petit 40 kilomètres. La diligence part à 7h du matin, été comme hiver, le mardi et le vendredi.

Pour Douai (environ 35 kilomètres, via Bouchain), on a établi des horaires d’hiver (départ à 8h du matin, arrivée le soir) et des horaires d’été (départ à 5h du matin, arrivée à midi). La diligence part les mardi, jeudi et samedi de chaque semaine.

 

Pour aller à Condé (13 km), rendez-vous au Saumon, 12 rue de Tournai. C’est là qu’arrive la diligence qui fait l’aller-retour les lundi, mercredi et samedi ; elle repart à 3h en hiver, à 5h en été.

 

(Image extraite du site jeanmichel.guyon.free.fr)





















 

Quant à la diligence pour Paris – celle que nous souhaitons prendre, je vous le rappelle – elle fonctionne aussi en horaires d’été ou d’hiver, et part chaque dimanche, mardi et vendredi. Elle « loge » à La Cour de France, 11 rue Capron. 

En été (du 1er avril au 1er octobre), elle part à 6h du matin ; elle s’arrête à Cambrai pour déjeuner, à Péronne pour coucher, le lendemain à Pont (dans l’Oise) à nouveau pour déjeuner, et arrive à Paris à 7h du soir.

En plus des étapes annoncées, la diligence s’arrête, été comme hiver, pour éventuellement prendre des voyageurs (ou les laisser descendre !), à Bouchain, Roye, Gournay et Louvres.

En hiver, le voyage est plus long ! Du 1er octobre au 30 mars, la voiture part (toujours les dimanche, mardi et vendredi) à midi. Elle s’arrête à Cambrai pour coucher, le lendemain à Péronne pour déjeuner, à Pont pour souper, et enfin arrive à Paris à 8h du matin, soit le surlendemain du départ.

Embarquons donc, mesdames messieurs, et traversons la Picardie en souhaitant que la voiture ne verse pas dans le fossé, ni qu’il ne faille en descendre pour la pousser dans les montées, et en espérant que les auberges-étapes seront accueillantes et confortables…


 

L'intérieur d'une auberge au XVIIIe siècle

 



























Sans vouloir vous effrayer, je dois aussi vous prévenir que, dès que nous aurons quitté le Hainaut, nous allons perdre tous nos repères quotidiens.

Ces kilomètres que j’ai utilisés pour vous donner la distance entre les différentes villes, n’existent pas au XVIIIe siècle. On parle en lieues, en pieds, en pouces. Le pied de Paris (dit pied de Roi) se divise en douze pouces ; le pied de Valenciennes (le pied Hainaut) en dix pouces seulement ; il est donc plus court d’un douzième que celui de Paris, méfiez-vous.

Si vous venez à Paris pour vendre les belles toiles de Valenciennes, apprenez à compter « à la française ». L’aune commune de Paris a 44 pouces ; l’aune pour les draps et les étoffes de laine, 43 pouces 10 lignes 2 cinquièmes ; l’aune pour les toiles n’a que 43 pouces 8 lignes ; notre aune de Valenciennes, elle, a 27 pouces 6 lignes. La correspondance est de 5 aunes communes de Paris pour 8 aunes de Valenciennes.

Si votre marchandise est liquide, sachez qu’à Paris on la mesurera en setier. Un setier contient 4 quarts, ou 8 pintes, ou 16 chopines, ou 32 demi-setiers, ou 64 poinçons, ou 256 roquilles. Tandis qu’à Valenciennes, les liquides se mesurent par pot. Un pot vaut 2 demi-pots ou 2 canettes, ou 4 pintes, ou 8 demi-pintes, ou 16 potées, ou 32 demi-potées.

S’il vous faut peser votre marchandise, soyez sur vos gardes : il est d’usage de donner 105 livres poids de Valenciennes pour 100 livres poids de Paris (ou poids de marc). Je vous fais grâce des détails sur les divisions du poids de marc en onces, gros, deniers, et grains…

A propos de grains : venez-vous vendre du grain ? Ne vous trompez pas de mesure ! Le blé se mesure à Paris par muid. Un muid contient 12 setiers, ou 24 mines, ou 48 minots, ou 144 boisseaux, ou 2304 litrons. A Valenciennes, le blé se mesure par mencaud. Le mencaud contient 2 vasseaux, ou 4 quartiers, ou 8 demi-quartiers, ou 16 pintes. Voici les correspondances entre toutes ces mesures, gardez bien ce petit tableau avec vous :

 


Pourquoi faire simple ? Ce qui vaut pour le blé ne vaut pas pour les autres grains. Ainsi, le setier d’avoine fait le double de celui de froment (Paris), et le mencaud d’avoine est d’un tiers plus fort que celui de froment (Valenciennes). Un boisseau de froment « de bonne qualité » pèse environ 20 livres, le mencaud 80 livres, poids de marc.

 

 

(Image extraite du site criollita.fr)

 

Bien sûr, qui dit commerce et bonnes affaires dit aussi espèces sonnantes et trébuchantes. Je vous fais confiance pour ouvrir l’œil. Ici, je donne la parole au chanoine Loridan [3] : « La livre Hainaut se subdivise comme celle de France en 20 sols Hainaut et chaque sol (ou sou) en 12 deniers, avec cette différence que la livre Hainaut ne vaut que 12 sols 6 deniers de France, soit exactement 0 fr 62, attendu que 8 livres de cette monnaie ne font que 5 livres Tournois » (livre Tournois et livre de France sont synonymes). Loridan poursuit – et je vous invite à bien vous accrocher : « De plus, on y compte aussi (à Valenciennes) par florins et patars (ou patards), pistoles et patacons. Le florin étant de 20 patars ou 25 sols, le patar ou sol parisis vaut 15 deniers. La pistole est de 10 livres et le patacon est un petit écu de 3 francs, ou 2 florins 4 patars, car 100 patacons font 240 florins. » L’Almanach de 1786 donne une dernière précision : « Il y a encore une autre manière de compter à Valenciennes, qui est particulière au commerce des toilettes (nos grandes pièces de fine batiste en lin), dont les achats se font par piettes : la piette vaut 30 sous Hainaut ou 18 sous 9 deniers de France. » Et vous voilà armés pour commercer avec un Parisien. 

 

« C’était mieux avant » a-t-on coutume d’entendre chez les personnes nostalgiques de leur jeunesse. Pour les voyages, c’est quand même beaucoup mieux maintenant !



[1] La « bibliothèque numérique » de Valenciennes permet de consulter en ligne toute la collection des Almanach de Valenciennes dont le plus ancien est daté de 1786.

[2] Voir son article « Comment circulaient nos ancêtres », extrait du n° 33 de la Revue du Cercle de Généalogie et d’Histoire du Crédit Lyonnais (nov-déc 2000).

[3] Jules Loridan, « Valenciennes au XVIIIe siècle », 1913.

mercredi 11 novembre 2020

Quelles sont ces cloches qui nous rendent ding dong dingues ?

Cette vue de Valenciennes, datée de 1760, montre la ville hérissée de clochers :

(document personnel)

La plupart coiffent des églises ou des couvents, sauf le numéro 4 qui est légendé « Tour de l’horloge » : il s’agit du beffroi de Valenciennes, érigé à l’extrémité sud de la place d’Armes entre 1238 et 1260, rehaussé par trois fois (en 1546, 1647 – c’est aussi l’année où la tour a reçu son horloge – et 1782) jusqu’à atteindre un sommet de 70 mètres – mais aussi jusqu’à s’effondrer sur lui-même le 7 avril 1843 dans un fracas de pierres, de charpentes et… de cloches.

 

Le beffroi de Valenciennes
(site hosto-libris.fr)

Raconter l’histoire des cloches municipales de Valenciennes (je ne parlerai pas ici des cloches des églises, ce sera une autre histoire) n’est pas chose facile en ces temps de confinement, où les seules sources accessibles pour la recherche se trouvent sur internet. On s’aperçoit que les sites et les blogs se recopient les uns les autres, et les dérapages sont nombreux dans les descriptions qui valsent d’une cloche à l’autre sans aucune référence avérée. Sur ce plancher glissant j’ai donc mis mes chaussures à crampons, et voici ce que j’ai trouvé.


On sait que le beffroi de Valenciennes était d’abord le « perchoir » du guetteur, chargé d’alerter la population en cas de danger (arrivée de l’ennemi, début d’incendie, etc.). C’était à son balcon que se produisaient les « Museux », un groupe de musiciens payé par un riche bourgeois pour jouer du hautbois et « amuser ces bonnes gens de Valenciennes ». Il contenait tout un carillon de vingt-deux cloches, qui aurait été installé dès 1377 – ces cloches ont été dispersées dans une vente aux enchères en 1862. Enfin, le beffroi contenait les « cloches municipales », au nombre de huit. Ce sont elles que j’ai tenté de « pister » !

 

Arthur Dinaux, dans son article sur le beffroi de Valenciennes [1], raconte que la tour reçut sa première cloche en 1358. Il s’agit de la Blanche cloche (qu’on appelle aussi la Bancloque ou cloche du ban), « d’un poids de 9,000 livres », c’est le gros bourdon qui sonne les fêtes publiques. Il aurait ainsi fêté l’entrée de Charles-Quint dans la ville, celle des archiducs Albert et Isabelle, et autres grandes réjouissances populaires. 


L'Echo de la Frontière, 11 septembre 1881.
"La Fête patronale sera annoncée par la Cloche des réjouissances publiques".
(Bibliothèque de Valenciennes)

Cette grosse cloche a la particularité d’être actionnée par le haut – j’imagine qu’il fallait être nombreux en-dessous pour tirer sur la corde et réussir à faire sonner un mastodonte de plus de quatre tonnes ! A l’intérieur du beffroi, elle était surmontée d’un plancher amovible, facile à enlever quand on voulait la mettre en branle. Autre particularité du gros bourdon : il n’est ni signé ni millésimé, c’est une cloche « blanche ». 

(image basiliquesaintcordon.valenciennes.fr)

En mai 1864, la toute nouvelle église Notre-Dame du Saint-Cordon est solennellement consacrée. C’est dans son clocher que la Bancloque a pris place, étant sortie intacte de la chute du beffroi. Les Valenciennois lui donnent alors, pour une raison totalement inexpliquée et sortie de nulle part, le nom de « Jeanne de Flandre ». Ainsi le samedi 1er août 1914 – premier jour de la Première guerre mondiale – Maurice Bauchond écrit dans son journal [2] : « Je reviens de chez Monsieur Thellier de Poncheville, alors que Jeanne de Flandre sonnait de toute volée. Pauvre vieille cloche dont le son est si familier aux oreilles valenciennoises. Nous n’avons l’habitude de l’entendre que dans les occasions heureuses ; elle annonçait une fête, un prix de Rome, mais aujourd’hui ce son nous paraît plus grave et plus solennel. »

 

Henri Caffiaux, dans son propre article sur le beffroi [3], indique : « ses cloches, suspendues à d’énormes charpentes, appelaient successivement, l’ouvrier au travail, le magistrat au conseil, le peuple aux fêtes, aux armes, au vote, à l’incendie ; tous au repos à l’heure du couvre-feu, tous au mouvement et à la vie quand, le soleil levé, s’ouvraient les portes de la ville. » Appeler l’ouvrier au travail, c’est le rôle de la Curiande. Cette nouvielle cloque dou bieffroit faite en le prouvosté Jeh. Moiser (c’est-à-dire Jehan Moyset étant prévôt de la ville) figure dans les comptes municipaux de 1358. Le métal (cuivre et étain) est acheté au poids, et « c’est en Flandre [en l’occurrence à Tournai] qu’on va chercher Willaume de Saint-Omer, le fondeur, soit qu’il y eût son domicile, soit qu’il s’y trouvât momentanément pour une fonte de cloche » précise Henri Caffiaux. La cloche des ouvriers prend place au-dessus du gros bourdon, et une nouvelle charpente permet d’y remettre et rependre le petite cloque dou Consel.

 

Au passage, Henri Caffiaux estime que, si la cloche des ouvriers prend place au-dessus de la « grosse cloche », c’est que le gros bourdon existait avant 1358. J’ajoute : la petite cloche du Conseil aussi !

Curieusement, les « experts » de l’Ecole des Chartes, dans le rapide inventaire qu’ils donnent du contenu du beffroi au moment de sa chute [4], ne citent pas cette cloche des ouvriers. Mais ils disent, après avoir évoqué « le gros bourdon des fêtes publiques » : « Deux autres cloches portent la date de 1538 ». Auraient-ils inversé le 3 et le 5 ?

Toujours est-il que, le beffroi tombé, la Curiande s’en sort intacte, elle aussi. Et c’est dans le clocheton de l’Hôtel de Ville qu’elle va trouver en 1846 (d’autres auteurs parlent des années 1860) un nouveau nichoir pour ses presque trois tonnes.

 

Les chartistes, dans leur court article, continuent la liste des cloches trouvées dans les décombres : « La cloche qui sonnait l’heure au beffroi, si l’inscription a été bien lue, porterait la date de 1366. » Ils ont raison de s’interroger sur le déchiffrage, car cette cloche date plutôt de 1386. C’est le richissime prévôt de l’époque, Jehan Partis, qui a fait fondre cette lourde cloche (environ cinq tonnes) par Robert de Croisilles, ainsi que l’indique sur ses flancs une inscription posée « en trois lignes de belles lettres gothiques », dit Maurice Bauchond [5]. Il ajoute : « Ses faces portent un certain nombre de figures et une curieuse caricature représentant un âne tirant la langue et chargé d’une espèce de chapelle. »

Mais, nouveau mystère, Bauchond dit que « la cloche de l’heure … sonne au campanile de l’Hôtel de Ville ». Or je viens de lire que la place est prise par la Curiande, n’est-ce pas ? 

 

Quelle qu’elle soit, des ouvriers ou de l’heure, la cloche de l’Hôtel de Ville va tomber une deuxième fois en mai 1940, lorsque le centre-ville de Valenciennes sera dévasté par un gigantesque incendie. Et une deuxième fois, elle va s’en sortir intacte !

 

La cloche au milieu des décombres de l'Hôtel de Ville en mai 1940
(photo extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)


Elle sera donc réinstallée en haut de l’Hôtel de Ville en 1959, cette fois sous la statue de Carpeaux illustrant « la Défense de Valenciennes », comme pour signer la fin de la reconstruction de la ville et de sa mairie. Elle sonne désormais les heures, au milieu du tintamarre automobile de la place d’Armes. Pour l’entendre (à midi pile), cliquez : https://youtu.be/izyCiDut8nI

 

(Photo Marc Goutierre sur la page Facebook de Richard Lemoine)
 

Retour dans le beffroi. La cloche de la demi-heure, beaucoup plus petite que celle des heures, date de 1533, dit Arthur Dinaux (les chartistes disent 1538). Deux vers sculptés sur son pourtour donnent son nom : « Anne suis de nom sans discors, Réjouissant les cœurs par vrais accords. » Après sa chute dans l’effondrement du beffroi, Anne est retrouvée fendue.

 

Les chartistes trouvent encore deux cloches décorées du cygne de Valenciennes, portant le millésime de 1597 (tous les autres disent 1592) ; une septième non datée mais très ornementée, décorée notamment « de fleurs de lys, d’une madone, d’un Saint-Michel à cheval, et des armoiries flanquées de deux bâtons en croix de Saint-André » [6] ; enfin, une huitième et dernière, illustrée du cygne valenciennois et portant l’inscription : « Nous avons este fait pour l’orloge de Valenciennes, par moi Jean Delcourt et ses fils 1626 ».

Les Delcourt sont fondeurs de cloches de père en fils depuis la fin des années 1490. Jean Delcourt a officié dans ce métier entre 1596 et 1628. En 1609 il signe un contrat pour réaliser le carillon de la collégiale Saint-Germain de Mons : les cloches en furent fondues dans son établissement de Douai. Pour autant, Jean et ses fils furent itinérants, comme tous les fondeurs de cette époque ; on trouve leur signature sur des cloches à Béthune comme à Fontaine-l’Evêque près de Charleroi.

Au passage, j’ai une question : pourquoi le beffroi contenait-il une cloche pour les heures, une autre pour les demi-heures, et une autre encore pour l’horloge ?

Si j’en crois un inconnu [7] cité par le blog « haspres news », parmi les cloches tombées du beffroi doivent encore figurer celle des incendies, et celle du couvre-feu, qui depuis 1605 indiquait l’ouverture et la fermeture des portes de la ville. Cette dernière, dit l’auteur en 1901, aurait été transférée dans le clocher de l’église Saint-Géry.


Qui croire ?

Maurice Bauchond a une opinion très personnelle sur la question, et son témoignage m’oblige à ouvrir une autre grande page de l’histoire des cloches de Valenciennes : leur réquisition pendant la première Guerre mondiale par les Allemands qui avaient besoin de métal pour leur industrie d’armement.

En septembre 1917, en sa qualité de conservateur adjoint du Musée de Valenciennes, Maurice Bauchond est chargé par la municipalité de « visiter » les clochers de la ville et de mettre à l’abri les cloches les plus précieuses du point de vue de notre patrimoine historique. Dans son journal, il énumère celles qui disparaissent : cloches modernes, carillons, etc. Mais il réussit à demander la déconsignation de douze œuvres d’art suspendues dans les clochers. Il en donne la liste [8], et indique à cet effet quelles sont les cloches provenant du beffroi :

• Dans l’église Saint-Nicolas, « Cloche du XVIe siècle, très remarquable, provenant du beffroi, portant l'inscription : « Philippe Regu, Alexan. Parmens, Belez, Guhec 1592, Le Coyvre de Rosel de Rouchy Lujüs, pas prosfect D. Anto. Du duc de Parme, du prévost de Capue, de la Ville ».

 

Saint-Nicolas, qu'on appelle aussi l'église des Jésuites.
Le clocher est quasi dissimulé derrière le fronton.
(Photo P. Delevoy, extraite du site pormenaz.free.fr)

 

• Dans l’église Notre-Dame du Saint-Cordon, « Cloche du Ban, ou Bancloche, vulgairement appelée « Jeanne de Flandre ». Cette cloche provient du beffroi écroulé en 1843 ; sans aucun ornement ni inscription, elle est l'œuvre de Guillaume de Saint-Omer, et a été fondue en 1358. Elle servait à annoncer les proclamations du magistrat et les solennités de la Ville. » Mais nous avons vu que ce n’est pas la Bancloque qui a été réalisée par Guillaume de Saint-Omer, c’est la Curiande.

 

Notre-Dame du Saint-Cordon, basilique depuis 1922
(Photo extraite du site basiliquesaintcordon.valenciennes.fr)

 

• Dans l’église Saint-Géry, « Cloche du XVIe siècle, provenant du beffroi, très curieuse, fondue en 1592. Elle porte des sceaux, des armoiries et une inscription en vieille langue tudesque. » Mais il annonce sur son autre liste (voir ma note n° 8) : « Cloche très curieuse datée de 1483, avec inscription flamande, œuvre de Siméon Wagbane. » C’est à y perdre son latin, son flamand et son tudesque réunis ! Et jamais Maurice Bauchon ne précise s’il s’agit de la cloche qui sonnait l’ouverture et la fermeture des portes de la ville. Mais quelle qu’elle soit, pour l’entendre cliquez : https://www.dailymotion.com/video/x61o84 (enregistrement par Monique Vanhalst).

 

Saint-Géry a reçu ce clocher en 1851 pour remplacer le beffroi effondré.
(Photo extraite du site basiliquesaintcordon.valenciennes.fr)

 

Ce qui est certain, c’est que ces trois cloches « provenant du beffroi » seront sauvées de la dépendaison et de la fonte, en compagnie de quelques autres qui se trouvaient également dans ces clochers d’églises – y compris la cloche de l’horloge fondue par Delcourt, qui avait retrouvé place à l’Hôpital Général.

 

Pour les riverains, il n’est pas toujours facile de supporter le voisinage d’un clocher en pleine action, comme en témoigne ce petit entrefilet paru dans Le Courrier du Nord le 12 octobre 1881 :

 

(Bibliothèque de Valenciennes)
 

Mais les cloches ne sont pas seulement source de tintamarre. Elles sont aussi les témoins du riche passé de Valenciennes. Lorsqu’elles chantent, c’est un peu de l’air du Moyen-âge qu’elles nous donnent à respirer… s’il s’agit bien d’elles !

 



[1] « Le beffroi de Valenciennes » in Archives du Nord, 2esérie, tome IV, 1873.

[2] « Vivre à Valenciennes sous l’occupation allemande, 1914-1918 », journal de Maurice Bauchond édité par le Cercle Archéologique et Historique de Valenciennes en 2018.

[3] « Le beffroi et la cloche des ouvriers en 1358 » in Mémoires historiques sur l’arrondissement de Valenciennes, 1873.

[4] Voir le court article in Bibliothèque de l’école des Chartes, 1843, page 400.

[5] Revue du Nord, tome 9, n° 35, août 1923.

[6] Bibliothèque de l’école des Chartes, opus cit.

[7] Signataire inconnu d’un article paru dans La Chronique de Valenciennes de 1901, que je n’ai pas pu lire mais qui est cité par l’auteur du blog haspresnews.e-monsite.com

[8] On dispose de deux listes : l’une citée par René Delame dans son livre « Valenciennes Occupation allemande 1914-1918, Faits de guerre et souvenirs » (1933) ; l’autre donnée par Maurice Bauchond lui-même dans son « rapport à la Commission du Musée de Valenciennes en sa séance du 17 février 1921 », présenté dans la Revue du Nord, op. cit.