mercredi 27 mai 2020

Qui sont ces sœurs qui périrent en chantant ?

Le 13 juin 1920, onze religieuses Ursulines de Valenciennes sont déclarées « Bienheureuses » par le Pape Benoît XV. La procédure de béatification avait été entamée en 1894 par le chanoine Jules Loridan, qui était alors l’aumônier de la communauté et dont les travaux de recherches historiques donneront un ouvrage irremplaçable : « Les Ursulines de Valenciennes avant et pendant la Terreur », publié en 1901. 
Ce mois de juin 2020, les Ursulines de Valenciennes (désormais basées à Saint-Saulve) – à défaut de l’église catholique tout entière – célèbrent le centenaire de la béatification, l’occasion de rappeler au monde les circonstances de la mort dramatique de ces pacifiques religieuses [1].

La Terreur, c’est cette période sanglante de la Révolution Française durant laquelle l’invention de Guillotin montra sa désastreuse efficacité. On la situe entre début septembre 1793 et fin juillet 1794. La mort de Robespierre (28 juillet 1794) mit fin aux décapitations à tout va – sauf à Valenciennes, où au contraire l’activité de la guillotine s’emballa. La ville, en effet, avait été en quelque sorte mise à l’abri des tribunaux révolutionnaires français grâce à son occupation par les Autrichiens. Quand les Français sont de retour, en septembre 1794, ils se déchaînent au nom de la justice, de la laïcité, de la fidélité à la République. Ils procèdent à l’arrestation de tous les ecclésiastiques qui se trouvent en ville, de toutes les religieuses, mais aussi de tous ceux qui avaient rempli des fonctions civiles, judiciaires ou militaires sous le régime autrichien et qui n’avaient pas pu émigrer, fuir cette folie de nettoyage par le vide. Arrestation, simulacre de jugement ou pas de jugement du tout, et c’était la mort sur l’échafaud. Entre le 24 septembre et le 16 novembre 1794, 53 personnes ont été guillotinées à Valenciennes – tous religieux, à quelques exceptions près.

Extrait du jugement du 2 Brumaire An 3, tel qu'il fut placardé sur les murs de la ville.
Les condamnés à mort seront exécutés le lendemain.
(image extraite du blog duboischoulik.free.fr)
Cinq Ursulines seront tuées le 17 octobre 1794, les six autres le 23 octobre. Pourquoi se souvient-on particulièrement de leur exécution ? Parce qu’elles étaient éminemment innocentes des faux crimes dont on les accusait ; parce qu’elles sont restées humblement fidèles, sans reniement, à la foi qui a toujours guidé leur vie ; parce qu’elles sont montées vers la mort en chantant des psaumes, littéralement. En 2019, le 23 octobre exactement (c’était le 225anniversaire de l’événement), dans notre église Saint-Géry, devant une assistance nombreuse, attentive et impressionnée, Marie-Christine Joassart-Delatte a retracé lors d’une conférence très documentée le parcours de ces religieuses, et leurs derniers instants. Je me souviens du silence total qui régnait dans l’église alors que la conférencière abordait l’exécution de la dernière Ursuline, qui était aussi leur Supérieure, Mère Clotilde. 

Mère Clotilde était native de Bavay, fille dEtienne Paillot et Marie-Barbe Hiolle. La famille était originaire de Lessines, en Belgique. Elle avait un frère, Louis Paillot, qui sera échevin de Condé-sur-l’Escaut, mais surtout qui aura une très nombreuse descendance – dont je fais partie, ainsi que Marie-Christine Joassart-Delatte, ainsi que les deux frères Leroy, Onésyme et Aimé, ainsi que Marc Theillier dont nous parlerons plus loin, ainsi que Pauline Boulan, deuxième épouse d’Henri Wallon… On retrouve dans toutes ces familles, à toutes les générations, des filles qui portent le prénom de Clotilde, en hommage à notre Ursuline.
Mère Clotilde avait pris le voile le 23 octobre 1756, à l’âge de 17 ans. Les Ursulines étaient présentes à Valenciennes depuis 1654, leur mission étant d’enseigner aux filles le catéchisme mais aussi la lecture, l’écriture, la couture, etc. Clotilde a donc connu le grand couvent de la rue Cardon, aujourd’hui rue du Quesnoy, dans le bâtiment qu’on appelle encore « hôtel Lallaing » mais qui n’est plus celui où les religieuses ont vécu. Loridan en donne un plan, qui montre que tout le pâté de maisons était occupé par des religieux : Ursulines, Brigittines, et Augustins.
L'ancien "hôtel de Lallaing" aux portes monumentales
"Photographie Henri Guillaume, Collection J.P. Leroy"
(image extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)

Plan du couvent présenté par Jules Loridan dans son livre sur les Ursulines
(image page 117)

Le 13 février 1790, Clotilde est élue Mère Supérieure par ses sœurs, pour trois ans. Le jour même de son élection, un décret supprime tous les ordres et congrégations religieux et invite « les individus » à déclarer devant la municipalité leur « sortie » de leurs vœux. Les Ursulines, y compris leur Mère Supérieure, déclarent toutes « vouloir finir leurs jours dans l’état et la maison qu’elles ont choisis ». Le décret suivant interdit le port des habits religieux. A nouveau, les Ursulines refusent de s’y soumettre. Enfin, le 1er octobre 1792, un énième décret décide que toutes les maisons occupées par des religieux doivent être évacuées et mises en vente.
Mère Clotilde décide alors d’emmener sa communauté à Mons, en Belgique. Les Ursulines de Mons sont en effet le « pied-souche » du couvent de Valenciennes, c’est de Mons que sont venues les religieuses fondatrices en 1654. Pourtant, à peine arrivées chez leurs sœurs, elles sont rattrapées par les Révolutionnaires après la victoire de Dumouriez à Jemappes, le 6 novembre. Mère Clotilde envisage de pousser son retrait jusqu’à Liège, mais le 18 mars suivant les Autrichiens repoussent les Français hors de Mons, puis de Valenciennes. Les Ursulines rentrent donc chez elles, et retrouvent leur couvent qui, entre-temps, a été transformé en caserne.
Le 26 novembre 1793, Mère Clotilde est à nouveau élue Supérieure pour trois nouvelles années – au vrai, pour onze mois seulement. En septembre 1794 les Autrichiens quittent Valenciennes, qui redevient définitivement ville française. Le seul aller-retour à Mons fera des Ursulines des « émigrées », crime qui s’ajoute à celui d’être des religieuses. La messe est dite (si j’ose dire), leur sort est scellé.

Extrait du tableau réalisé par Diogène Maillart en 1908. En réalité,
les Ursulines montèrent à l'échafaud sans leur habit religieux.
(image extraite de l'affiche annonçant le 225e anniversaire de l'exécution)
Guillotinée le jour anniversaire de sa prise d’habit, la Bienheureuse Mère « Marie-Clotilde-Angèle de Saint-François-Borgia » (dans l’entièreté de son nom religieux) est montée la dernière vers le supplice fatal. Marie-Christine Joassart-Delatte rapportait lors de sa conférence ce commentaire d’un témoin oculaire : « Je la vois encore à l’échafaud, à genoux, la dernière, je crois entendre encore cette femme intrépide, encourageant ses sœurs et chantant avec elles les louanges de Dieu jusqu’au moment où l’on n’entendit plus, dans toute la ville, qu’un silence de consternation. »

En 1923, un vitrail racontant l'histoire des Ursulines de Valenciennes
est installé dans la chapelle Saint-Vincent-de-Paul de la basilique Notre-Dame du Saint-Cordon.
(photo personnelle)
Au cimetière Saint-Roch de Valenciennes, une tombe entourée d’une chaîne indique l’emplacement où des ossements de femmes ont été retrouvés en 1925. Plusieurs indices ont laissé penser qu’il s’agissait des Ursulines. En 2013, un « généreux donateur » resté anonyme a fait poser une pierre tombale sur cette sépulture.

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Un petit mystère accompagne la disparition de Mère Clotilde, raconté par Marc Theillier en annexe de son livre « Les Ursulines sous la Terreur » qu’il a lui-même édité en 1986. Avant de couper la tête de la religieuse, le bourreau lui arrache une petite croix qu’elle porte au cou et la jette dans la foule. Ensuite… qu’est devenue cette petite croix ?
Marc Theillier indique que la première preuve indiscutable de la présence de cet objet dans la famille est signée Henri Wallon. Dans son livre « Les représentants du peuple en mission et la justice révolutionnaire » publié en 1890, il indique en note, page 166 du tome 5 : « je possède la petite croix d’argent qu’elle portait au moment d’aller à l’échafaud. »

(image Gallica)
En 1923, Marc Theillier a douze ans dit-il, il se souvient avoir entendu le prêtre de Notre-Dame du Saint-Cordon s’adresser aux fidèles en ces termes : « Lorsque vous participez à l’offrande lors d’une messe de funérailles et que le prêtre présente à vos lèvres l’image du Christ, c’est la croix de la Bienheureuse Mère Clotilde que vous vénérez ; car la croix qu’elle portait en montant à l’échafaud, je l’ai fait sertir sur cette patène dont on se sert aux enterrements » (page 114 de son livre). Marc Theillier est intrigué. En 1985, lorsqu’il écrit son ouvrage, il cherche cette patène à Notre-Dame : rien. Puis il contacte les Ursulines (à Saint-Saulve), demande à consulter leurs archives et, tout surpris, découvre une petite boîte contenant une croix en argent et un billet jauni qui dit : « cette petite croix que l’on dit avoir appartenu à une religieuse Ursuline guillotinée à Valenciennes a été offerte par Madame Guiroux (née Leroy) à sa domestique », sans signature ni date (page 116). Caroline Guiroux (1797-1882) est une sœur d’Aimé et Onésyme Leroy, une petite-nièce de Mère Clotilde. Il s’agirait donc bien de la petite croix de la Bienheureuse ? Selon Marc Theillier, Henri Wallon se serait ému de ce don à « une étrangère » (étrangère à la famille, s’entend) et aurait récupéré le bijou. On n’en sait rien ! On ne sait pas non plus s’il s’agissait de la croix de la Mère Supérieure ou de l’une des dix autres religieuses.
Henri Wallon revient dans ce feuilleton, en qualité de témoin : il écrit – dit Marc Theillier page 117 – dans le dossier du procès de béatification, « j’ai donné à ma fille la petite croix de Mère Clotilde ». Et là, Marc Theillier part dans une curieuse élucubration, imaginant que Etienne Wallon, fils d’Henri, aurait persuadé sa sœur de donner l’objet à Notre-Dame du Saint-Cordon, puis que le prêtre de Notre-Dame aurait « desserti » cette croix (qui se trouvait donc sur la patène de 1923) pour la donner aux Ursulines de Saint-Saulve, lesquelles la rangent dans une boîte avec le petit billet jauni qui raconte une tout autre histoire… C’est sans queue ni tête ! 
(image des Ursulines de Saint-Saulve)
J’ai une autre version à vous proposer, racontée par mon cousin François Schombourger dans ses notes généalogiques (voir le site antoine.schombourger.free.fr). Il dit que « cette relique familiale devait être transmise de filles aînées mariées en filles aînées mariées. » La fille d’Henri Wallon, à qui il a donné la petite croix, s’appelle Marguerite, elle a épousé Charles Rabut et vit à Paris. François Schombourger poursuit : « Bonne maman Rabut [donc Marguerite] la portait sur son lit de mort le 17 octobre 1936. Sa fille Thérèse, ma mère, en hérita. » Thérèse est décédée en 1973. Ensuite, faute de « fille aînée mariée », François Schombourger, dépositaire de l’objet, a décidé de le confier aux Ursulines de Valenciennes à l’occasion du bicentenaire de l’exécution, en 1994. Je peux en témoigner, car j’y étais !
Onze Ursulines guillotinées, cela fait onze petites croix (qu’elles recevaient à leur prise d’habit) jetées à la foule. Elles ont toutes pu devenir objets de vénération, et se retrouver l’une sertie sur une patène, une autre entre les mains de la domestique de Caroline Guiroux, une autre encore pieusement conservée par Henri Wallon. Qui saura jamais ?


[1] A cause du Coronavirus, les célébrations prévues à l’église St-Géry ont été repoussées à 2021.

lundi 18 mai 2020

Qui est cet Archet qui jouait avec les lettres ?

A Valenciennes, dans le quartier du béguinage, se trouve la rue Hécart. Je me suis souvent demandé où était la rue Et-demie, assez trivialement, je l’avoue, mais vous allez voir que j’étais dans le ton. La rue Hécart porte le nom de, et rend hommage à, Gabriel Hécart qui fut un de ces érudits dont le XIXe siècle était friand, mais qui n’avait pas oublié d’ajouter à sa science une bonne dose de fantaisie. C’était une sorte de touche-à-tout lettré, le genre de personnage qui de nos jours ferait un merveilleux blogueur.

Lorsqu’il signait ses œuvres, Hécart utilisait ses trois prénoms : Gabriel, Antoine, Joseph, reçus à son baptême le 25 mars 1755 à l’église Saint-Géry de Valenciennes. Il était né la veille, chez ses parents. Il était le fils de Jean Hécart (natif de Vendresse dans l’Aisne), sellier de son métier, et de Marie-Françoise Cognia (qui venait d’Orchies), domiciliés rue Saint-Géry. Son parrain était son frère aîné, Antoine, qui allait sur ses dix-sept ans à sa naissance.

Acte de baptême de Gabriel Hécart
(Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes)
Ce grand frère, qui fut également le témoin de Gabriel lors de son mariage, semble avoir été l’objet d’une certaine admiration – ou peut-être, d’une sorte de fascination – de la part du cadet. Antoine Hécart était franc-maçon, il est nommément cité dans les listes de la loge valenciennoise Saint-Jean-du-Désert avant et après la Révolution[1]. Nulle part on ne trouve trace de Gabriel dans ces listes, ce qui étonne les spécialistes parce qu’il a écrit plusieurs ouvrages sur la franc-maçonnerie, dans lesquels, à l’évidence, il savait de quoi il parlait. Dans un article paru dans la revue Valentiana en juin 1988, Jocelyne Bournonville s’évertue à trouver toutes les raisons possibles à ce petit mystère ; elle n’aborde pas celle qui me vient directement à l’esprit : que Gabriel s’y connaissait en franc-maçonnerie parce que son frère Antoine en faisait partie, et lui en parlait. Pas besoin d’être vigneron pour parler œnologie. Et étant donné la production livresque tous azimuts de notre auteur, mon explication ne me paraît pas incongrue.

Tous azimuts, l’expression n’est pas surfaite. Gabriel Hécart a lui-même listé et commenté, en 1828, dans un ouvrage intitulé Manuscrits de l’auteur, les sujets de toute sorte qui ont fait l’objet d’un livre ou d’un opuscule de sa part. C’est phénoménal ! Une phrase notée dans un ouvrage, une réflexion entendue lors d’une conversation, suffisaient à l’envoyer sur la piste d’une enquête, jamais très approfondie reconnaissait-il lui-même, lui permettant de « faire le tour » d’une question qui l’intriguait. J’ai pris la peine de dresser moi-même la liste chronologique de tous les écrits dont il se dit auteur (elle se trouve à la suite de cet article), on se croirait dans l’un de ces cabinets de curiosité qui faisaient fureur à son époque, où se côtoyaient des crânes de blaireau, des fossiles de fougères, des livres reliés en cuir doré sur tranche…

Gabriel Hécart n’était pas avare de ses propres commentaires sur sa propre production. Cela nous permet de comprendre que, tantôt par pure modestie, tantôt par jeu, il omettait le plus souvent de signer ses ouvrages, ou bien il prenait un pseudonyme « pour rire ». L’embêtant, c’est que plus d’une fois il s’est fait voler ses manuscrits restés anonymes (raconte-t-il), quitte à les voir réapparaître édités par un autre – ou à les voir disparaître tout à fait. Dans le cas d’une totale disparition, il conclut généralement qu’il n’y a rien à regretter, que le manuscrit ne valait rien.  
Il fait une exception cependant : il avait rédigé une « Flore du Hainaut » dans laquelle il recensait toutes les plantes sauvages – non cultivées – qu’il avait rencontrées lors de ses promenades autour de Valenciennes, et sur lesquelles il donnait ses commentaires botaniques et des indications pour les retrouver. Un travail très méticuleux, du botaniste amateur mais passionné qu’il était, qui lui a valu une médaille de l’Académie de Bruxelles. D’ailleurs, il aurait aimé enseigner cette science, ce qui lui a été refusé. Il se plaint amèrement dans ses Manuscrits, d’avoir été écarté de cet enseignement – et de s’être fait barboter son manuscrit, au passage. Beaucoup plus tard, en 1836, il fera paraître une Florula hannoniensis, petit ouvrage complet mais sec comme une trique.

Le grand ouvrage de Hécart, celui qui l’a rendu célèbre, est son Dictionnaire Rouchi-Français. Le rouchi, je précise pour les étrangers, est le patois chti parlé à Valenciennes (le mot aurait même été inventé par Hécart). Ce livre est né comme ses autres œuvres, d’une pointe d’intérêt de l’auteur pour une particularité du coin. Le langage, comme les plantes. Il collectionnait les expressions typiques, celles qu’il entendait dans la rue, comme d’autres collectionnent les petits cailloux. Il aurait pu en faire une encyclopédie. Il travaillait à la quatrième édition de ce dictionnaire quand la mort l’a emporté. La Bibliothèque municipale de Valenciennes a gardé son manuscrit, qui montre bien comment il travaillait en accumulant les petits papiers !

(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

Parce qu’il s’intéressait à tout et à tout le monde, Gabriel Hécart fut aussi journaliste. Pendant près de vingt ans (1807-1826), il fut propriétaire et rédacteur de la Feuille de Valenciennes, un journal de huit pages qui paraissait trois fois par semaine, le mardi, le jeudi et le samedi (abonnement pour trois mois : 4 francs 50 pour Valenciennes, 6 francs « pour le dehors »). Lorsqu’il rachète le journal à son précédent propriétaire, Hécart est bien décidé à le relancer sérieusement. Il annonce donc le programme de tout ce qu’on pourra lire dans ses pages : annonces immobilières, arrêtés préfectoraux, jugements des tribunaux, état-civil de Valenciennes, « nouvelles politiques les plus intéressantes », prix des grains et autres marchandises, annonces des spectacles. « Pour l’agrément des lecteurs, ajoute-t-il, on trouvera de temps à autre un morceau de littérature, soit en vers soit en prose ». Gabriel l’amuseur n’est jamais loin derrière le sérieux Hécart !



Hécart le sérieux était par profession secrétaire de la mairie de Valenciennes, un bon poste de fonctionnaire qu’il a occupé toute sa vie et que je soupçonne son frère Antoine de lui avoir procuré, lui qui était également employé à l’hôtel de ville.
Gabriel le fantaisiste a beaucoup profité de son temps libre ! Il était oulipien [2] avant l’heure, se lançant par exemple dans la composition de vers truffés d’anagrammes, vers qu’il édite sous le pseudonyme anagrammique d’Archet, et qu’il dédie à son ami Olery (Leroy [3]). Il invente des titres invraisemblables à ses petits opuscules, comme ce Rominaf. Traduit de l’arabe. Imprimé à Cacadouillopolis, l’an 7539824160 des Parfums. Il me semble l’entendre pouffer de rire derrière ses Quelques préjugés populaires des habitants de Valenciennes, collection de croyances populaires qu’il tamponne d’un « Ouvrage posthume d’un auteur vivant ». Et je cite encore sa petite Biographie des fous de la ville de Valenciennes, par un homme en démence, qui préfigure Pierre Dac.

Gabriel Hécart en 1808, gravure de Jacques-François Momal
(image de la Bibliothèque municipale de Valenciennes)
Avec une telle personnalité, Hécart ne laissait personne indifférent. Rigolo superficiel pour les uns, génial bourreau de travail pour les autres, je pense qu’il ne mérite bien sûr pas le pilori, mais pas trop non plus le pinacle. C’était un homme de sa ville, de son temps, qui n’a jamais pu résister à la tentation de s’intéresser à tout ce qui lui passait sous les yeux ou sous les oreilles.
Il est mort le 19 novembre 1838 chez lui, place Delsaux, veuf mais déjà beau-père, grand-père et arrière-grand-père d’une lignée d’hommes de lettres : Joseph, Lucien et Léon de Rosny. Trois auteurs que les émules de Hécart ne manqueront pas d’aller découvrir dès que possible, avec appétit.

Acte de décès de Gabriel Hécart
(Archives départementales du Nord, état-civil de Valenciennes)

Œuvres de Gabriel Hécart
Lorsque le titre est indiqué en gras, cliquez dessus pour accéder au document.

1778 – Traité de perspective linéaire.
1778 – Mémoire sur l’étendue de la direction des fermes générales de Valenciennes, sur ses productions et son commerce. Manuscrit.
1778 – Flora Hannoniensis. Manuscrit.
1778 – Mémoire sur les abus et inconvénients des grandes exploitations rurales. Manuscrit.
1780 – Dictionnaire du vieux langage français
1780 – La Harpéade, poème en prose et en vers dissyllabes. Manuscrit.
1780 – Plan d’imposition sur les célibataires.
1780 – Moyen de détruire l’infanticide. Manuscrit.
1781 – Observations sur les échanges de territoire faits entre le roi de France, l’impératrice-reine et le prince de Liège.
1787 – Histoire des beaux-arts. Manuscrit.
1790 – Dictionnaire anagrammatique de la langue française.
1791 – Le Temple de la science, songe. 24 p.
1792 – Prodromus Floræ hannoniensis. Manuscrit.
1793 – Relation du siège et bombardement de la ville de Valenciennes, par l’armée combinée sous les ordres du duc d’York. Manuscrit.
1793 – Portraits de quelques officiers municipaux de l’époque, et des magistrats qui les ont remplacés. Manuscrit.
1794 – Catalogue des livres de la bibliothèque de M. le comte de Ste-Aldegonde de Noircarmes.
1794 – Mémoire sur les usages économiques du roseau des étangs, Typha… Lin. Manuscrit.
1795 – Essai sur les qualités et les propriétés des arbres, arbrisseaux, arbustes et plantes ligneuses, etc. 132 p.
1796 – Promenades botaniques autour de Valenciennes. Manuscrit.
1796 – Faunula Valencenensis. Manuscrit.
1801 – Rominaf« traduit de l’arabe ». « Tiré à peu d’exemplaires ».
1801 – Les Arbres, en vers. Manuscrit.
1804 – Indicateur minéralogique. Manuscrit.
1804 – Eloge historique de Lestiboudois, ayeul de celui actuel. Manuscrit.
1807 – Parallèle du siècle de Louis XIV avec le XVIIIrelativement aux lettres, aux sciences et aux arts. Manuscrit.
1808 – Les Bosquets d’agrément, poème en IV chants, suivi des Arbres toujours verts, poème en stances régulières. 16 & 112 p.
1808 – Mon Théâtre : Musicor, ou la dispute fraternelle ; L’Envieux ; Rominaf, ou le rajeunissement du Myriade. Manuscrit.
1808 – Explication des mystères de la Fr*** Mie***. Manuscrit.
1808 – Etymologie des noms des plantes. Manuscrit.
1808 – Tableau de la culture de toutes les plantes tant indigènes qu’étrangères. Manuscrit.
1808 – Précis de ma vie.
1811 – Table alphabétique des planches de botanique composant les dix centuries de l’Encyclopédie méthodique. Publié en 1827.
1811 – Tableau alphabétique de toutes les communes de l’empire français, indiquant les départements, leur chef-lieu, celui des sous-préfectures, les justices de paix, etc.
1812 – Mémoires sur les haies. 50 ex.
1813 – La Vaccine, poème, et autres pièces sur divers sujets. 63 p.
1815 – Œuvres diverses, mélanges littéraires, poésies, etc.
1817 – Art du tuileur des trente-trois degrés de la F*** M*** du rite écossais ancien et accepté, suivi de la maçonnerie disséquée, traduite de l’anglais de Samuel Prichard, et d’un tableau des loges écossaises existantes en 1734. Manuscrit « écrit de la main de ma bonne et chère fille ».
1818 – Recueil de poésies, intitulé : Mes Sottises.
1819 – Rapport fait à la société des sciences, arts, commerce et industrie de la ville de Valenciennes, sur les monuments antiques du moyen âge, que l’on trouve dans ses murs ou dans ses environs.
1820 – Sur la culture de l’oreille-d’ours. 7 p., 6 ex.
1820 – Notice sur Jean Molinet, chanoine de Valenciennes, poëte et historien au XVesiècle.
1820 – Voyage à Commercy et dans ses environs.
1821 – Anagramméana, poème en VII chants. 58 p., 50 ex.
1821 – Anagraphéana (bibliographie d’anas). 44 p., 100 ex.
1822 – Capellaniana, ou notice sur Chapelain.
1822 – Cotiniana.
1822 – Pictoriana.
1822 – Scalptoriana.
1822 – Sculptoriana.
1822 – H…tiana.
1823 – Observations sur un passage du 3erapport fait par M. Bottin à la Société royale des Antiquaires de France. 8 p., 25 ex.
1823 – Stultitiana, ou petite biographie des fous de la ville de Valenciennes. 24 p., 45 ex.
1823 – Essai sur les fabulistes français.
1824 – Augiasiana, ou recueil de préceptes, de proverbes, de quolibets, de rébus et de façons de parler triviales en usage dans le patois Rouchi. 
5 volumes in-18.
1824 – Biographie Valencenoise. 108 p.
1824 – Boulyana, ou Notice et Anecdotes sur Bouly. Manuscrit.
1825 – Coup d’œil sur les usages anciens et modernes de la ville de Valenciennes, à la suite du « Précis historique et statistique sur la ville de Valenciennes » de Desfontaines de Preux. 120 p., 12 ex.
1826 – Dictionnaire rouchi-français, précédé de Notions sur les altérations qu’éprouve la langue française en passant par ce patois. 318 p., 300 ex.
1827 – Valenciennes en 1789, comparée à ce qu’elle est maintenant. Manuscrit.
1827 – Essai d’une bibliographie spéciale des recueils de proverbes ; suivie de la notice de ceux qui ont été traités dramatiquement par quelques auteurs.
1827 – Moribondiana, ou actions et paroles des mourants. Manuscrit.
1827 – Funébriana, ou Récréations historiques sur les funérailles, contenant des anecdotes divertissantes sur les usages des différents peuples dans les honneurs rendus aux morts ; recueillies par un homme qui a toujours regardé la mort comme le souverain bien, et qui a vécu soixante-treize ans en se familiarisant avec ce point de vue. Manuscrit.
1827 – Bétisiana.
1827 – Loiseliana, ou adages, maximes de droit et proverbes extraits des Insitutes Coutumières d’Antoine Loisel, jurisconsulte du XVIIesiècle, parsemés de quelques remarques.
1827 – Proverbes, adages, maximes, sentences, quolibets, rébus recueillis de l’histoire de Don Quichotte, traduite par Filleau de Saint-Martin.
1828 – Catalogue des coquillages du Musée de Valenciennes. 24 p., 7 ex.
1828 – Recueil d’épitaphes dont fort peu sont inédites. Manuscrit.
1828 – Manuscrits de l’auteur : lettre à M. Lerouge. 72 p., 21 ex.

Liste constituée et datée par Gabriel Hécart lui-même, dans les « Manuscrits de l’auteur » de 1828, et dans la « France littéraire » en 1830.

Et aussi : Feuille de Valenciennes, 1807 à 1826.




[1] Voir Jocelyne Bournonville, Valentianan° 1, page 71.
[2] L’Oulipo – Ouvroir de littérature potentielle – est un mouvement littéraire créé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. L’un de ses membres les plus célèbres est Georges Perec.
[3] Voir dans ce blog l’article sur Aimé Leroy et son frère Onésyme : « Qui sont ces frères qui avaient les livres dans la peau ? », posté en novembre 2019.