jeudi 1 juin 2017

Quels sont ces cygnes qui sifflent sur nos têtes ?

Rue Jean Bonnemaison
A peine parcourt-on de quelques pas la ville de Valenciennes qu’on s’aperçoit, au long des rues, que les cygnes ont envahi le ciel. Du moins, le haut des murs. Regardez : ici, ils gardent une école ; là, ils surveillent l’entrée d’une discothèque ; ici, ils coiffent une entreprise ; là, ils barbotent au milieu des fleurs… Ils sont partout ! D’ailleurs, ils portent officiellement le vieux blason de la ville, et à ce titre figurent aussi sur la façade de l’Hôtel de ville – tandis que l’un d’eux a remplacé le lion héraldique sur le moderne « logo » de la cité, son cou et son aile dessinant un V qui prend son envol vers un avenir radieux.

Tous ces cygnes sont des gags. Un gros gag, plutôt, inventé par un poète du XVIe siècle, Henri d’Oultreman, qui fut également historien de la ville. S’interrogeant sur l’étymologie du nom « Valenciennes », il a trouvé joliment poétique de déclarer qu’il s’agissait d’un glissement phonétique de « Val en cygnes », et tant qu’il y était il a inventé l’histoire qui va avec.
Ainsi donc, et voici l’une des versions de la courte légende, en des temps aussi nébuleux que lointains, « Inachus, fils du roi des Cimbres, épouse Germania, fille d’un proconsul romain et la ramène dans sa patrie. Alors qu’ils passent dans notre région, un cygne, effrayé par un envoi de flèches, se réfugie dans le sein de Germania. Celle-ci, surprise et charmée, donne à cet agréable site le nom de Val des Cygnes. »

Cette légende est un véritable puzzle qui mélange des pièces de diverses provenances.
Inachus est un personnage de la mythologie grecque. Il était le premier roi d’Argos et, selon le mythe, il fut l’un des juges qui eut à trancher un grave différend entre Poséidon et la déesse Héra. Or, suivez-moi bien, Héra se promenait un jour dans la campagne lorsqu’elle se fit surprendre par la pluie. Devant elle, elle découvrit un pauvre oiseau mouillé et transi de froid : elle le mit sous sa tunique pour le réchauffer sur son sein. Cet oiseau n’était autre que Zeus en personne qui s’était transformé en coucou pour la surprendre et la charmer. Ce même Zeus qui, un autre jour, sous la forme d’un cygne, vint se réfugier dans les bras de Léda parce qu’il était poursuivi par un aigle. Et Léda, à son tour, succomba à ses charmes !
Les Cimbres, pour leur part, étaient une tribu germanique qui, comme les Teutons et en leur compagnie, mit à sac toute la Gaule et se heurta belliqueusement aux Romains entre le 2e siècle avant et le 1er siècle après Jésus-Christ. Ces Cimbres étaient des barbares avérés, et si l’un d’eux a épousé une Romaine, ce fut sans nul doute plus de force que de gré. Cette Romaine, dit notre légende, s’appelait Germania : c’est le titre du livre consacré par Tacite en l’an 98 après Jésus-Christ à l’histoire des Germains – nos Allemands actuels, si l’on ose dire. Valenciennes a fait partie, en son temps, de la Lotharingie, donc de la Germanie.
Ainsi, en picorant dans le réel, l’historique, le mythique et le fabuleux, Henri d’Oultreman a bâti un conte qui a connu son petit succès.

C’est qu’en effet on ne sait pas trop comment expliquer ce nom de « Valenciennes ». Certains aimeraient que la ville ait été fondée et baptisée par l’empereur romain Valentinien. Il y eut trois empereurs romains nommés Valentinien dans les premiers siècles de notre ère : Flavius V. 321-375 ; le fils de Flavius, 371-392 ; et Placidus V. 419-455. Le deuxième était basé à Milan et n’est jamais monté plus au nord que Trèves. Les deux autres se sont plus intéressés aux rives du Rhin qu’à celles de l’Escaut. Oublions donc l’empereur romain.
Eugène Mannier[1], en 1861, suggère que « Valenciennes » soit un mot composé à partir d’un nom de personne, et qui pourrait se traduire par « l’habitation de Valentin » (Villa Valentianæ). La cense de Valentin, même, suggéré-je, puisqu’on appelait ainsi les grosses fermes dans nos régions.
A moins que ce Val ne désigne tout simplement la situation géographique du premier bâtiment (grosse ferme, château, forteresse…) : dans une vallée.
A vrai dire, Dominique Fumanal[2] propose un autre sens à ce Val en suggérant qu’il vienne du verbe latin « valeo » qui signifie être puissant, et en imaginant que le lieu tire donc son nom (il parle de la ville de Valence en Espagne, mais pourquoi pas Valenciennes ?) d’un personnage « valens », un type « qui en a » — dans les poches et dans la culotte. Valentin, le patron des amoureux, était sans doute aussi vigoureux que Zeus. Valenciennes, ville courageuse : l’explication me plaît bien.

Bien sûr, nos cygnes ne vont pas quitter nos cieux de sitôt. Toute saugrenue qu’elle est, la légende de la dame recevant « sur son sein » un oiseau de quinze kilos et de plus d’un mètre cinquante d’envergure n’a pas fini de charmer son auditoire.




[1] Etudes étymologiques, historiques et comparatives sur les noms des villes, bourgs et villages du département du Nord ; Valenciennes pp. 206 à 208.

[2] http://www.etymo-logique.com/le-mot-du-jour/valence-valence-ou-valence/

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