A Valenciennes, lorsque l’avenue de Verdun a été refaite en 2023 (chaussée, trottoirs, places de stationnement, etc.), la municipalité en a profité pour installer le long des habitations quantité de bacs à fleurs et à arbustes, et aussi une décoration dont l’objectif est double : rappeler les grands moments valenciennois de la guerre 14-18 (on n’est pas avenue de Verdun pour rien) et mettre à l’honneur un grand artiste de notre cru : Pierre-Victor Dautel, médailliste primé à de multiples reprises.
La nouvelle avenue de Verdun à Valenciennes, avec l'une des "médailles" de Dautel
(image extraite de la page Facebook du maire, Laurent Degallaix)
Portrait non daté (en vente sur eBay) |
Pierre-Victor Dautel est né à Valenciennes le 19 mars 1873. Sa maison natale, rue d’Audregnies, porte une plaque qui commémore l’événement – mais il faut lever le nez.
La maison natale de Dautel, et sa plaque : Pierre Victor DAUTEL - Grand Prix de Rome - graveur statuaire - est né en cette maison le 19 mars 1873
(photos personnelles)
Son acte de naissance est plus bavard que cette plaque.
(Archives départementales du Nord)
On y fait la connaissance de sa mère, Léocadie Lequime, qui décédera en octobre 1880 laissant quatre orphelins dont Pierre-Victor était le plus jeune. On y fait aussi la connaissance de son père, qui était déjà une personnalité à Valenciennes, ville dont il fut l’architecte d’arrondissement dès 1876. Monsieur Dautel père disparaîtra en 1906.
Léocadie et Pierre-Joseph Dautel-Lequime.
Médailles réalisées en 1907 et 1905 par leur fils
(images extraites de Musenor et du site MSK-Musée des Beaux-Arts de Gand)
Si je continue le chapitre de sa vie privée, j’apprends que Pierre-Victor Dautel s’est marié deux fois. La première fois en 1906, juste après le décès de son père, avec Marie Cordier, modiste à Paris (mais native d’Anzin), qui était déjà la mère d’une jeune Suzanne âgée d’une dizaine d’années et que l’artiste reconnaîtra alors. Ils divorcent en mars 1913, et Dautel épouse “dans la foulée“ (en avril) Léa Hainaut, native d’Ancenis en Loire-Atlantique, qui lui donnera un fils, Jean-Pierre Dautel (1917-2000).
Marie Cordier, médaille réalisée en 1905 - Léa Hainaut, médaille réalisée en 1926
(image Musenor et image extraite du livre "Sortir de sa réserve")
Jean-Pierre Dautel, médaille réalisée en 1930
(image Musenor)
C’est à Ancenis que Dautel finira ses jours, le 12 novembre 1951, après une vie artistique littéralement couverte de gloire. Il est enterré à Valenciennes, au cimetière Saint-Roch, dans le caveau de famille décoré du médaillon portant le profil de son père.
(image extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)
Pour raconter son enfance et sa formation, je me suis fiée aux souvenirs d’Emile Langlade, qu’il raconte dans le tome 4 de ses « Artistes de mon temps » paru en 1938 à Arras[1].
Pierre-Victor Dautel était inscrit “aux Académies“, comme on appelait la grande école fondée à Valenciennes en 1784 et qui forma tant d’artistes renommés.
En 1934, Pierre-Victor Dautel réalisa la médaille du 150eanniversaire des Académies
(image Musenor) |
A seize ans, il y suivait les cours d’Architecture, sur les traces de son père, et de Sculpture, par goût personnel. Il était l’élève de Charles Maugendre, tout juste arrivé comme professeur aux Académies de Valenciennes (1887) après une carrière de sculpteur à la Manufacture de Sèvres. Mais il semble que Dautel ne s’entendait pas très bien avec son professeur. Il aimait par-dessus tout, raconte Langlade, fréquenter l’atelier d’Edmond Lemaire, sculpteur sur bois rue de la Nouvelle-Hollande, le maître prodiguant volontiers ses conseils au jeune débutant.
Sa marraine, indique Langlade, était la fille de Jean-Baptiste Bernard, lui-même architecte du département et professeur aux Académies en son temps (il est mort en 1856), ses élèves s’appelant Constant Moyaux, Jean-Baptiste Carpeaux, Jules Batigny, Louis Dutouquet ou Emile Dusart ! C’est chez le mari de sa marraine, un Monsieur Lajoie, lui-même architecte, que Pierre-Victor Dautel trouva un petit travail de dessinateur technique, qui lui permit de quitter le foyer familial. « Un beau jour, » raconte Langlade, il partit pour Paris, où il se lia d’amitié avec les artistes valenciennois partis avant lui, et trouva à travailler, tantôt chez l’architecte Parent[2], tantôt chez le sculpteur Gauquié[3], pour finir par être admis à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris le 8 juillet 1893. Il y est inscrit à l’atelier de Barrias[4], lequel n’est pas très satisfait (comme Maugendre) des trop nombreuses absences de son élève, obligé par ailleurs de travailler pour gagner sa vie. Selon Langlade, Barrias incitait Dautel à s’inscrire chez Chaplain, médailliste réputé, mais Pierre-Victor refusait, préférant recevoir une formation “multiple“ : sculpture, peinture, architecture.
En 1902, Dautel fut admis à concourir pour le Prix de Rome, sur le sujet imposé du “Martyre de saint Sébastien“ (le saint fut attaché à un poteau et transpercé de flèches). Résultat : il remporte le Grand Prix en gravure en médaille, recevant alors les félicitations de son père, de Barrias et de Chaplain ! La presse se fait largement l’écho de ce succès, les feuilles septentrionales se frottant les mains : « Encore un Valenciennois ! » titre le “Grand Echo du Nord“ pour annoncer la nouvelle. C’est qu’en effet les artistes de Valenciennes raflent la mise, en 1902 :
Le Petit Journal, 26 juillet 1902
(image Gallica)
Valenciennes, en ce temps-là, n’hésitait pas à sortir le grand jeu pour fêter ses artistes. C’est Langlade, encore, qui raconte : « Naturellement, Valenciennes … fêta comme il était de tradition, les succès de ses enfants : Dautel, Terroir et Brasseur. On leur avait dressé des arcs de triomphe ; tout le long du chemin qui mène à l’Hôtel de Ville, des bannières tricolores, du haut de leurs mâts, se balançaient sous la brise ; des guirlandes de feuillage égayaient les rues et l’indescriptible enthousiasme de la foule accompagna les « romains » de ses acclamations, jusqu’à l’estrade dressée sur la place d’Armes où le Maire, Devillers[5], vint les haranguer, leur donner l’accolade et fleurir leurs bras de superbes gerbes de fleurs dignes de leurs succès. »
Arc de triomphe dressé au coin de la place d’Armes et de la rue de Paris en 1902 (image photographiée dans le livre « Bienvenue dans l’Athènes du Nord[6] ») |
Et les festivités se poursuivirent : « Cette réception fut suivie, le 27 septembre, d’un banquet offert par la municipalité de Valenciennes, l’Union valenciennoise de Paris et l’association des anciens élèves des Académies de Valenciennes, » ajoute Langlade.
Le banquet de 1902, image dessinée par Constant Moyaux (Bibliothèque municipale de Valenciennes) |
Les éditeurs Giard, place d'Armes, publieront des cartes postales à l'effigie des Prix de Rome (Archives municipales de Valenciennes) |
Dautel séjournera à la Villa Médicis à Rome du 1er janvier 1903 au 31 décembre 1905. Il y travaille son art dans ce qui sera sa spécialité : les portraits. Par divers concours de circonstances, le musée de Valenciennes possède aujourd’hui une très grande quantité de ces médailles, que l’historien d’art Jean-Claude Poinsignon présente une à une dans son livre « Sortir de sa réserve[7] », avec pour chacune une courte biographie du personnage concerné. On comprend ainsi que Dautel a d’abord représenté les gens qui lui étaient proches : sa femme, son père datent des années romaines, mais aussi ses amis Lucien Brasseur, Elie Raset, ou encore les artistes séjournant à la Villa en même temps que lui : Edouard Monchablon, Louis Bouchard, Fernand Sabatté, et Eugène Guillaume, directeur de la Villa de 1891 à 1905.
Pour la suite, tourner les pages du livre de Jean-Claude Poinsignon permet de comprendre que Dautel les a tous connus, ceux qui faisaient “la crème“ de la première moitié du XXe siècle, savants, artistes, élus, faisant carrière à Valenciennes ou à Paris. Il leur a gravé le portrait – de profil – pour l’éternité. Mais il a aussi créé des médailles pour des institutions : l’Union valenciennoise à Paris, le syndicat d’initiative de Nantes, la chambre de commerce du Mans, etc. ; et pour des entreprises : centenaire des papeteries d’Odet, Caisse d’épargne de Valenciennes… Il a travaillé pour des anniversaires, notamment pour les centenaires de Jean-Baptiste Carpeaux et de Gustave Crauk (1927), pour le 150e anniversaire de la fondation des Académies de Valenciennes (1934), ou pour le sixième centenaire de la naissance de Froissart (1937).
Avers et revers de la médaille commémorant le sixième centenaire de la naissance de Froissart,
réalisée à la demande de la ville de Valenciennes en 1937
(images Musenor)
Au coin de la rue de Lille et de la place du Hainaut, le monument aux Régiments de Valenciennes
réalisé par Pierre-Victor Dautel
(photo personnelle) |
Le timbre signé Dautel pour célébrer le quatrième centenaire de Rossard (image extraite du site timbres-de-france.com) |
Si le Grand Prix de Rome fut son premier pas vers la renommée, d’autres récompenses vinrent régulièrement marquer son parcours artistique. Médaille d’honneur au Salon des Artistes français de 1927, Chevalier de la Légion d’Honneur en 1929, Officier de la couronne d’Italie, grand prix des Arts de la Société des Sciences de Lille en 1938, nommé Rosati d’honneur en 1930. Il sera aussi, chez les Rosati, membre du comité d’organisation professionnelle des arts graphiques et plastiques à partir de 1941.
Durant l’été 1951, Pierre Victor Dautel reçoit une commande de la municipalité de Valenciennes, dirigée alors par Pierre Carous. On lui demande de créer des médaillons représentant de grands artistes valenciennois, destinés à loger dans les cinq niches rondes situées sur la façade latérale côté rue des Incas. Dautel se met aussitôt au travail et envoie un projet au conseil municipal, une ébauche de dessin très précieusement gardée aux Archives et sur laquelle figurent les sculpteurs Hiolle, Crauk, Carpeaux, Lemaire et Fagel :
(Archives municipales de Valenciennes)
Le 5 novembre, une délibération municipale adopte ce projet ; il ne verra cependant jamais sa réalisation, car Pierre-Victor Dautel décède la semaine suivante, le 12 novembre 1951. Et les niches du musée sont restées vides.
L’AVENUE DE VERDUN
Parmi les quelque 160 œuvres de Dautel conservées aujourd’hui par le musée de Valenciennes, tout un “lot“ fait référence à la guerre 14-18. Voilà qui nous ramène à l’avenue de Verdun, et au choix des médailles qui a été fait par l’actuelle municipalité à la fois pour raconter la guerre et pour honorer l’artiste. Voici les panneaux (photographiés sur place) qui les présentent au long du parcours :
David et Goliath, 1914 |
Cette médaille représente la victoire de David sur Goliath. Ce thème, d’origine biblique, est associé à la date de 1914 (MCMXIV). Cette œuvre prend alors tout son sens. La France s’identifie au jeune et courageux David qui tue le géant Goliath à l’aide de sa fronde.
Dès le 25 août 1914, la ville de Valenciennes est envahie et, contrairement aux espoirs, va connaître une occupation longue et dure pendant 1530 jours. Les soldats, partant la fleur au fusil, pensent alors la victoire facile et rapide.
Le Baiser maternel (Espérance), 1914 |
Au dos de la médaille représentant David et Goliath se trouve la représentation de l’Espérance sous les traits d’un baiser maternel. Cette médaille reprend le motif d’une autre médaille sculptée en 1904 lors de son séjour à Rome et s’inspirant probablement de la femme et de la fille de l’artiste.
La population se trouve isolée, coupée du reste de la France non occupée, sans possibilités de quitter la zone ni de partager des nouvelles aisément. Les habitants subissent très vite des brimades et vexations. Les réquisitions sont de plus en plus nombreuses et variées au fur et à mesure que la guerre se prolonge.
A leur retour, ces prisonniers sont exclus des honneurs rendus aux autres combattants. Cette médaille est une commande de l’Association des Prisonniers de Guerre. Elle représente un soldat français dans un camp sous l’inscription “Gloria Victis“ (Gloire aux Vaincus).
Si la Première Guerre mondiale est connue pour ses pertes humaines, environ 600 000 Français sont faits prisonniers de guerre en Allemagne et se retrouvent dans des camps. Valenciennes occupée accueille ainsi durant la guerre des prisonniers français. Ils ne rentrent chez eux qu’après l’armistice.
Cette médaille sculptée en 1917 représente une jeune glaneuse découvrant un casque dans un champ de blé. Cette thématique sera courante sur les monuments aux morts et rappelle les nombreux soldats disparus.
La Première Guerre mondiale est à l’origine de millions de morts, dont 1 400 000 militaires et 300 000 civils français. Valenciennes, comme toutes les villes de France, a fortement souffert. Au sortir de la guerre, un hommage leur est rendu par un Monument aux Morts sculpté par Elie Raset. Il porte 871 noms de soldats morts pour la France.
Visite de l'American Legion en France (avers), 1927
Sous l’inscription “Pour toujours“, deux soldats se tendent les mains. Cette médaille rappelle le rôle primordial des alliés et, en particulier, des Américains dans la libération de la France.
En août 1918, la grande contre-offensive alliée fait reculer les troupes allemandes. Ce sont des Britanniques et des Canadiens qui libèrent Cambrai en octobre et se présentent aux portes de Valenciennes. Le 2 novembre, les Canadiens entrent dans Valenciennes. Les jours suivants, ces unités avec les Britanniques libèrent le Valenciennois.
Visite de l'American Legion en France (revers), 1927
En 1927, l’ “American Legion“, association des Anciens Combattants de l’armée des Etats-Unis, est accueillie en France. Une cérémonie a lieu en leur honneur qui se déroule à l’Arc de Triomphe. Cette médaille en bronze rappelle cet événement. Un exemplaire en or est offert au président des Etats-Unis tandis que des versions plus petites sont offertes aux anciens combattants américains.
En 1918, environ deux millions de soldats américains étaient sur le sol français et avaient répondu, à la suite du capitaine Stanton, “La Fayette, nous voilà !“
[1] « Artistes de mon temps » par Emile Langlade, 1938 : il aborde la vie de Pierre Dautel de la page 101 à la page 119 du tome 4.
[2] Henri Parent, né à Valenciennes (1819-1895) est l’un des concepteurs du musée de Picardie à Amiens, l’un des restaurateurs du château d’Ancy-le-Franc dans l’Yonne, l’un des candidats au concours pour la construction d’un Opéra à Paris (concours gagné par Charles Garnier).
[3] Henri Gauquié (1858-1927) fut l’élève de René Fache à l’Académie de Valenciennes. Il est entre autres l’auteur, à Paris, des candélabres du pont Alexandre III ou du monument à Antoine Watteau au Jardin du Luxembourg, et à Semur-en-Auxois du monument aux soldats du canton de Semur (Côte-d’Or).
[4] Louis-Ernest Barrias (1841-1905), Prix de Rome en 1865, est par exemple l’auteur de “La Défense de Paris“ (sculpture aujourd’hui sur le parvis de La Défense). En 1894 il succéda à Jules Cavelier comme professeur de sculpture aux Beaux-Arts de Paris.
[5] Charles Devillers fut maire de Valenciennes de 1899 à 1912.
[6] « Bienvenue dans l’Athènes du Nord » par Jean-Claude Poinsignon, éditions Spratbrow, 1998.
[7] « Sortir de sa réserve », Le fonds valenciennois de sculptures XIXe et XXe siècles au Musée des Beaux-arts de Valenciennes, par Jean-Claude Poinsignon, 1992. Une bible !
[8] Edouard Jordan, 1866-1946, historien et professeur d’université, nommé membre de l’Académie des Sciences morales et politiques en 1933.
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