samedi 29 avril 2023

Philippine est-elle la première Rosière ?

On déniche dans les registres des délibérations municipales de Valenciennes des curiosités très étonnantes, comme cette recherche urgente d’une “fille sage“ à marier à un “homme ayant fait la guerre“, pour faire – à la demande de l’Empereur – coïncider la célébration de cette union avec l’anniversaire du couronnement de Napoléon Ier.

(Archives municipales de Valenciennes)













Séance du 23 novembre 1807

Présents Messieurs

Benoist aîné, Maire Président

Truffaut, Laplace, Caniez, Dinaux, Hamoir aîné, Maurice, Cailliau, Duhuin, Royer, Boulan, Daulmery, Théré, Desars, Bourier, Menu.

« Anniversaire du Couronnement de S.M. L’Empereur ;

Choix d’une Fille à marier. »

 

            Le Conseil Municipal de la Ville de Valenciennes réuni en conformité de l’arrêté de Mr le Général Préfet du 14 de ce mois relatif à la dot à assigner sur les revenus communaux à une fille sage de la commune qui sera mariée à un homme ayant fait la guerre, de déterminer le choix de la fille à marier et les frais de la fête anniversaire du couronnement de Sa Majesté L’Empereur et Roi qui doit être célébrée le dimanche 6 décembre prochain en cette ville.

            Le Conseil vote la somme de six cents francs pour la dot, cent cinquante francs pour le trousseau, lesquels 150 francs seront pris sur celle de douze cents francs que le Conseil vote pour les frais de la dite fête.

            Ces frais sont ceux d’une illumination, bal public, distribution de pain aux pauvres et autres divertissements qui sont à la disposition de Monsieur le Maire.

            Qu’une proclamation sera faite dans le jour pour informer les habitants qu’une fille sage doit être dotée.

            Le Conseil se réunira demain à cinq heures du soir pour entendre le résultat de cette proclamation et prendre une délibération.

 

(suivent les signatures)

 

Séance du 27 novembre 1807

Présents Messieurs

Benoist aîné Maire Président

Truffaut, Royer, Doazan, Cailliau, Duquesne, Hamoir aîné, Desars, Daulmery, Maurice, Laplace, Teinturier, Dubois, Menu, Talon, Boulan, Canier.

« Anniversaire du Couronnement ;

Mariage. »

 

            Il a été donné lecture d’un rapport de Monsieur le Maire dont la teneur suit.

            Messieurs :

            Vous avez connaissance de l’arrêté du Général Préfet du 14 de ce mois, par lequel il est dit que les villes ayant plus de 10,000 francs de revenus doivent marier une fille sage à un militaire ayant fait la guerre, le jour du couronnement de Sa Majesté impériale et de la doter.

            Vous avez voté cette dot et l’embarras était de trouver en un si court espace, une fille qui réunît les qualités exigées et qui fût en même temps aimée d’un militaire ayant fait la guerre.

            Après plusieurs démarches, nous avons enfin réussi à trouver la nommée Marie Anne Philippine Debosse qui, d’après toutes les informations prises, a été reconnue pour une fille tranquille, probe, sage et laborieuse, ce sont les termes du certificat joint du commissaire de police.

            Les informations prises sur le nommé Jean B. Joseph Frelon son prétendu, ne sont pas moins satisfaisantes, ainsi qu’on le voit des attestations des Sieurs L. A. Cuvelier et Pochez, blanchisseurs chez lesquels ledit Frelon a travaillé.

            Il produit en outre un congé de réforme du 94Régiment d’infanterie de ligne délivré à Hannover le 26 Brumaire an 13, par lequel il conte qu’il est entré au service le 18 Nivose an 3 au 62Régiment, qu’il a été incorporé dans la 94demi Brigade le 30 Fructidor an 4 et réformé pour infirmité le 26 Brumaire an 13, qu’il a fait les campagnes des années 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11 et 12 et qu’il a fait partie de l’expédition d’Irlande.

            A ce congé est joint un certificat de son corps, comme il a servi avec honneur et probité pendant tout le temps qu’il a fait partie du 94Régiment. Ce certificat est daté du 25 Brumaire an 13. 

            Un certificat de ses voisins comme il n’a contracté mariage.

            Son acte de naissance du 25 mars 1775.

            Enfin une feuille de route délivrée à Hannover le 25 Brumaire an 13 pour se rendre à Valenciennes.

            D’après toutes les précautions prises, je pense, Messieurs, que votre choix ne peut se reporter sur un couple qui le mérite plus que celui que j’ai l’honneur de vous présenter.

            Mais en vain, Messieurs, aurions-nous atteint le but que le gouvernement se propose, si nous ne pouvions obtenir les dispenses de M. le Procureur impérial près le Tribunal de cette ville, pour la seconde publication, le temps était si court, que cette formalité ne peut être remplie en temps pour que le mariage s’accomplisse le 6 décembre prochain ; je ne doute cependant pas que ce magistrat ne seconde en cela les désirs du gouvernement surtout si vous en émettez le vœu, et qu’il le peut aux termes de l’article 169 du Code Civil.

            Le Conseil a approuvé en tout son contenu et a prié Mr le Maire de solliciter auprès de Mr le Procureur impérial les dispenses nécessaires pour que le mariage puisse avoir lieu le six décembre prochain jour anniversaire du couronnement de notre auguste souverain.

 

(suivent les signatures :)


(Archives municipales de Valenciennes)

 
















J’ai vérifié : le Procureur a donné sa dispense et le mariage a bien eu lieu, le 6 décembre 1807, à Valenciennes. L’acte rédigé commence page 79 du registre, aux Archives du département, et s’étale sur quatre pages au total. Ce mariage est un événement, et toutes les personnalités sont là. Les signatures sont celles de tout le Conseil municipal, venu en troupe à la célébration, derrière ces mots désolants : « Les époux interpellés de signer, ne l’ont pu faire, pour ne savoir écrire. »

 

Je me suis demandé si cette Philippine Debosse n’était pas la première Rosière de Valenciennes, ces jeunes filles modèles de vertu et de probité qui étaient la Miss de leur ville (si je puis dire) durant une année. On trouve en effet, les années suivantes, dans les délibérations du Conseil municipal, des recherches de Rosière, ainsi désignée, et la nomination d’une commission de trois membres à cette intention.

Ce qui est certain, c’est que Napoléon Ier voulait absolument “faire le bonheur“ de son peuple. Il renouvellera, en 1810, l’injonction de célébrer des noces entre “filles sages“ et “militaires qui ont fait la guerre“ le jour de son propre mariage avec Marie-Louise d’Autriche – et cette fois, il en veut dix ! Et Valenciennes en trouvera dix…

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