mardi 4 avril 2023

Pourquoi ces marches au milieu de la place ?

La place Verte à Valenciennes
(photo personnelle)

 

De toutes les églises qui existaient à Valenciennes avant la Révolution française, il n’en reste pas une seule. Saint-Nicolas ne fait pas exception. Je parle de l’ancienne église qui se trouvait sur la Place Verte, pas de l’actuel Auditorium – qui est aussi une ancienne église Saint-Nicolas mais qui n’a rien à voir.

 

L'église Saint-Nicolas, son cimetière et son presbytère, tout contre le rempart (entre la porte de Mons et la porte Cardon), sur un plan de Valenciennes de 1767 (document personnel)

L'église paroissiale Saint-Nicolas-en-Couture
(image extraite du livre Histoire ecclésiastique de la Ville et comté de Valentienne
de Simon Le Boucq, édité par Prignet en 1844)

Cette église fut d’abord une chapelle située au lieu-dit “La Couture“, hors les murs de la ville. Simon Le Boucq, dans son Histoire ecclésiastique, dit qu’elle fut fondée en l’an 750 par ordonnance de Pépin le Bref. Elle fut confiée aux religieux de Saint-Saulve et pourvue de revenus par des dons de généreux bourgeois. Le Boucq ajoute que « l’hostel et refuge dudict Sainct-Sauve estoit joindant (joignant) ladicte église où en apparence iceulx religieux faisoient leur demeure ». « En 1289, ajoute Philippe Racinet[1], deux des vingt-quatre moines [du prieuré de Saint-Saulve] desservent à Saint-Nicolas de Valenciennes, fait rarissime dans l’ordre de Cluny. »

Vers 1170 le comte Baudouin l’Edifieur élargit les murs de la ville et la chapelle se retrouve à l’intérieur de l’enceinte. Elle est dès lors beaucoup plus facilement fréquentée par la population, ce qui mène à sa “promotion“ en église paroissiale en 1186. Le bâtiment va alors connaître de nombreux développements et agrandissements : les paroissiens, en se cotisant « chacun selon sa qualité et puissance » dit Le Boucq, firent édifier la nef et « ung moyen clochier » qu’on bâtit sur ce qui sera l’emplacement de la chapelle Saint-Victor (je reparlerai plus loin de ces chapelles d’église). Du coup, raconte Le Boucq, le prieur de Saint-Saulve fit construire le chœur. Plus tard fut élevé le grand clocher que les Valenciennois prirent l’habitude de nommer « la Tour Saint-Nicolas ». En 1433, on agrandit encore le chœur, et on bâtit huit chapelles du côté nord. Simon Le Boucq s’enthousiasme : « ceste église est rendue comparable aux plus belles de la ville, voire du Pays-Bas » ! Enfin, en 1625, on procéda à un dernier agrandissement « à main droicte de la nef » et à la pose d’une verrière « audict nouveau ouvrage, avecq les armes de la ville ».

Lorsque nos archéologues municipaux, emmenés à l’époque par Philippe Beaussart, effectuèrent en 1991-93 la fouille complète du site de l’église disparue, ils retrouvèrent les « premières pierres » de cet agrandissement, gravées des noms des échevins de l’époque, « dans le second socle de pilier, au sud de la nef[2] ».

 

(image extraite du livre Les collection d'archéologie régionale
du Musée des Beaux-Arts de Valenciennes,
1993)


La plus grande pierre (ci-dessus) rend hommage au prévôt Jean Desmaisières, qui succédait cette même année 1625 à Adrien Malapert. Outre les armoiries du noble homme, au centre, figurent à gauche et à droite les symboles de la ville : le cygne et le lion. Les autres échevins bénéficièrent de pierres plus modestes, portant juste le nom de la personne ou, plus simplement encore, le monogramme I.H.S. (Jesus Hominum Salvator, Jésus sauveur des hommes).


(image extraite du livre Valenciennes à coeur ouvert, Musée des Beaux-arts, 1999)


Les archéologues ont retrouvé sur les lieux de nombreux objets, pièces de monnaie, médailles, vaisselle, carreaux vernissés… témoins de la vie quotidienne au fil des siècles :

                       

Carreaux présents dans l'ancienne sacristie

Vaisselle trouvée dans le puisard de la cour de la sacristie

Médaille de pèlerinage représentant Saint Hubert
(toutes ces images extraites du livre Valenciennes à coeur ouvert, op. cit.)


Ils ont surtout exhumé des fragments de sculptures, qui donnent un vrai crédit à l’enthousiasme de Simon Le Boucq devant cette église « la plus belle de la ville ». Ce personnage qui sort de son cercueil après en avoir ôté le couvercle est saisissant :

 


Il appartenait sans doute, disent les archéologues, à un ensemble figurant le Jugement dernier, avec, au sommet du tableau et dans une position centrale, un Christ en majesté sur son trône. Nos experts datent cette pièce du XIIe siècle, et ils estiment que « cet élément figurait vraisemblablement au registre décoratif de la première façade de l’église Saint-Nicolas-de-la-Couture[3]. »

 


Cette autre sculpture, figurant une tête de femme, a été retrouvée réemployée dans une maçonnerie de la sacristie. Elle porte au cou une plaie, du moins une entaille de couleur rougeâtre. Il s’agit peut-être, supposent les archéologues, de la représentation d’une martyre. Elle est difficile à dater parce que « au Moyen-âge comme à l’époque moderne, peu de femmes sont représentées chevelure déliée. » Les experts penchent pour le XVe siècle, à cause du mouvement de la chevelure, de l’œil en amande, de la sensualité des courbes du visage.

 

Avant de se faire fracasser et vandaliser par les « iconoclastes » adeptes de la Réforme dans les années 1560, les représentations des saints et des saintes étaient pléthore dans les églises. Chacun avait sa chapelle, qui lui était dédiée et que les confréries venaient vénérer en grande pompe à une date anniversaire. L’abbé Cappliez a réalisé “l’inventaire“ des métiers et de leurs saints patrons[4], on sait donc qui se rendait à Saint-Nicolas :

les boulangers, pour vénérer Saint Honoré « dans la nef à gauche » ; les meuniers, qui priaient Saint Victor « à côté des boulangers » ; les mulquiniers et plus généralement les métiers du fil, placés sous la protection de Sainte Véronique ; les savetiers qui se rendaient à la chapelle de Saint Crépin ; et les amidonniers, qui étaient protégés par Saint Charles Borromée.

Outre ces corporations de métiers, il existait une Confrérie de Saint-Nicolas, qui se rendait à chaque Saint-Nicolas à la chapelle Saint-Nicolas de l’église Saint-Nicolas, en procession et en grandes pompes. La médiathèque de Valenciennes en a conservé les statuts, un manuscrit daté de la fin du XVe siècle et illustré de miniatures colorées :

 

Les confrères se rendant à l’église Saint-Nicolas en procession, avec les porte-cierges et les musiciens. Ils assisteront là à une messe solennelle en l’honneur de leur saint patron.


Les nouveaux membres, triés sur le volet, doivent prêter serment sur la Bible.

 

Et naturellement, la fête se poursuit par un magnifique banquet !

 

Dans le livre Richesses des anciennes églises de Valenciennes (Musée des Beaux-arts, 1987-88), Marie-Pierre Dion, qui fut Conservatrice de notre bibliothèque municipale, explique mieux que moi – et plus sérieusement – que cette confrérie dite de dévotion était « limitée à cinquante prêtres, clercs portant ou ayant porté tonsure, pouvant attester de leur bonne vie et mœurs. Chaque année, le jour de la Fête-Dieu, le livre des règlements est lu à haute voix avant le repas. » Elle poursuit : « Les membres de la confrérie se rendent à l’église, dans leur chapelle que Simon Le Boucq dit être “fort spacieuse et bien ornée“, afin de préparer la châsse qui doit figurer dans le cortège de Notre-Dame du Saint-Cordon. » Chaque année, dans ce cortège, les confrères de Saint-Nicolas portaient un habit d’une couleur différente : : « vert erbut, sanguin, blancq, gris brun, vermeil, noir et azure ».

 

Les Archives municipales de Valenciennes ont gardé les comptes de l’église, dans lesquels on retrouve mentionnés les musiciens qui y travaillaient : un chantre, un bateleur — qui est un carillonneur des grands jours — un sonneur de cloches pour les jours ordinaires, sans oublier un organiste et son souffleur[5]. Ces musiciens devaient jouer « tous les Dimanches et fêtes de l’année à la grand messe et aux Vêpres le Jeudi Saint, la veille de la Pentecôte à la grand messe seulement et les jours d’adoration d’hiver et d’été, au jour du sacre à la grand messe et aux Vêpres, pour les fêtes des confréries, …, les messes d’ange, les messes à dévotion, des corps de métier et autres, ainsi que les saluts des Samedis, la grand messe de tous les Jeudis, le matin… » indique Philippe Perlot dans la revue Valentiana n° 30.

 

Dessin au lavis d'encre noire de l'orgue de l'église Saint-Nicolas,
conservé aux Archives municipales de Valenciennes
et reproduit dans la revue Valentiana n° 30

En 1988, des élèves du Collège Lavoisier de Saint-Saulve ont indiqué, au fil d’une étude publiée toujours dans la revue Valentiana, mais le n° 2 cette fois (décembre 1988), que notre église Saint-Nicolas possédait à Saint-Saulve, en 1789, 81,5 mencaudées de terres labourables, exploitées quasi en totalité par un fermier local.

L’indispensable Almanach de Valenciennes ne manque pas d’indiquer, aux dernières années de l’Ancien Régime, comment se présente l’Etat ecclésiastique de la ville, en citant les prêtres des différentes églises :



Mais dès 1790, cet Etat ecclésiastique disparaît, les prêtres n’étant plus cités que s’ils font partie d’autres instances. Ainsi le curé de Saint-Nicolas, “Monsieur“ Lallemant, siège-t-il en 1790 au Grand conseil de Valenciennes, dans son 24quartier :

 

Almanach de 1790
(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

Avec la Révolution française, sonne aussi l’heure de la disparition de l’église. On connaît les péripéties de cette période troublée, notamment à Valenciennes qui connut en 1793, non pas la Terreur comme le reste de la France, mais l’interminable siège[6] puis l’occupation des “alliés“ de la monarchie – armées anglaises, autrichiennes, prussiennes. Dans le livre La défense nationale dans le Nord de 1792 à 1802, publié en 1880 par Paul Foucart et Jules Finot, on peut suivre quasi heure par heure les épisodes de ce siège qui fit tant souffrir la population valenciennoise. On lit ainsi (tome 1 page 505) que la tour de l’église Saint-Nicolas avait été transformée en observatoire et que s’y trouvait un guetteur : « Jean-Baptiste Louain, placé dans une petite guérite en bois bâtie au haut du clocher, plat comme le toit d’une maison, jetait avec exactitude d’heure en heure des bulletins qui informaient le Général Ferrand (qui dirigeait la défense de la ville) de tous les mouvements des Autrichiens. » L’auteur ajoute que Ferrand « montait très souvent dans ce clocher avec les Généraux Tholose et Dembarrère, pour y voir par ses propres yeux [les mouvements de l’armée ennemie] et faire armer en conséquence les batteries les plus propres à opposer de la résistance. » Bien entendu, le duc d’York, à la tête des assiégeants, « qui n’ignorait pas que du haut de cette tour on découvrait, même au clair de lune, toute l’étendue de ses tranchées », n’a qu’un objectif : détruire le clocher de Saint-Nicolas. Il y parviendra, à force de bombardements à boulets rouges, durant la nuit du 18 juin 1793. Les témoins racontent : « Le clocher vomissait des torrents de fumée, au travers desquels s’élevaient des flammes tournoyant comme des serpents ; les ouvrages de l’ennemi étaient éclairés de manière qu’on les voyait mieux qu’en plein jour. Les cloches, dépourvues de soutien, tombaient sur les voûtes et les écrasaient avec un fracas épouvantable.[7] »

Le peintre Adrien Coliez, né et mort à Valenciennes (1734-1824), a assisté à la catastrophe. Il en a réalisé une toile restée célèbre, qui montre la tour jetant des flammes par ses fenêtres et dominant encore l’église embrasée dont le toit vient de s’effondrer. « Pour tout secours, indique Paul Foucart, un baquet d’eau posé sur une poussette à deux roues vient d’être péniblement amené par un homme qui, agenouillé, prépare un seau de cuir. »

 

L'incendie de la tour de l'église Saint-Nicolas, par Adrien Coliez, 1798.
Musée des Beaux-arts de Valenciennes (image extraite du site Musenor)

Autre témoin de la catastrophe, cette toile de la Tate Gallery à Londres, signée de P.J. de Loutherbourg. Elle est intitulée (en anglais) « Le grand siège de Valenciennes par les armées coalisées sous le commandement de son altesse royale le duc d’York. » Paul Foucart donne ici encore ses commentaires : « A droite, le duc d’York, à cheval, donne des ordres. A gauche, s’écroule une maison devant laquelle, dans un chemin creux, des artilleurs poussent des bouches à feu et des caissons. Au premier plan sont assis trois soldats anglais, dont l’un fume. Au fond s’étend la ville, dont les murailles sont dominées par la tour incendiée de Saint-Nicolas.[8] »

 

(image extraite du site tate.org.uk)


 







Depuis ce triste événement, l’église Saint-Nicolas-en-Couture n’existe plus que dans les 

archives. En 1856 par exemple, L’Echo de la Frontièreraconte la découverte « dans l’ancienne sacristie de l’église Saint-Géry actuellement en démolition », de tout un tas de papiers, titres de propriétés, comptes de fabrique, donations et concessions en tout genre, dont aucun ne remonte au-delà du XIVe siècle mais qui concernent notamment les anciennes églises de Saint-Nicolas, Notre-Dame de la Chaussée, Saint-Jacques et le Béguinage. « On sait que la vieille église Saint-Nicolas, explique le journal, bâtie sur la place Verte, ayant été incendiée pendant le siège de Valenciennes, des papiers faisant partie des archives de cette église furent transportés dans celle des Récollets qui, en 93, avait été transformée en magasin d’artillerie. » Et il ajoute : « Un des premiers documents qui ont été trouvés, c’est un acte fort curieux passé entre le sieur Oultremann et notre célèbre sculpteur Pater, au sujet de stalles à sculpter pour l’église Saint-Nicolas. Cet acte, intéressant pour notre histoire, est signé par l’artiste ; c’est la seule signature qu’on ait de lui[9]. »

 

L’Almanach de Valenciennes de 1877, en conclusion de quelques anecdotes rassemblées autour de ces lieux, indique que « les ruines [de l’église] jonchèrent pendant huit ans le quartier de la place Verte. Enfin, en 1802, l’administration municipale décida que la place Saint-Nicolasserait nivelée et entourée d’une double allée de tilleuls[10]. »

En réalité, ce n’en était pas fini des décisions en aller-retour qu’allait connaître notre actuel parking du musée. Mais c’est une autre histoire…



[1] Philippe Racinet, Saint-Saulve de Valenciennes. Un monastère clunisien du Nord dans la revue Valentiana n° 6, décembre 1990.

[2] Voir Valenciennes à cœur ouvert, dix ans d’archéologie urbaine (1989-1999), Musée des Beaux-arts de Valenciennes.

[3] Voir Valenciennes à cœur ouvert, op. cit.

[4] Histoire des métiers de Valenciennes et de leurs saints patrons, par l’Abbé Charles Cappliez, 1893.

[5] Voir à ce sujet ces deux excellents articles : Le Hainaut et la musique de la Renaissance ; Valenciennes par Fabien Guilloux, 2021 ; Orgue et organistes à l’église Saint-Nicolas, par Philippe Perlot in revue Valentiana n° 30, décembre 2002.

Et qu’est-ce qu’un souffleur d’orgue ? La réponse de France-Musique : Le souffleur d’orgue a longtemps été indispensable à l’organiste pour actionner la mécanique de la soufflerie et faire sonner l’instrument. Pendant que l’organiste improvisait fugues et passacailles au clavier, un ou plusieurs souffleurs transpiraient en actionnant, au bras ou au pied, la pompe des soufflets mécaniques, dans l’ombre, incognito.

[6] Voir dans ce blog mon article « Où se trouve l’hôpital dont les artistes font aujourd’hui le siège ? », publié en février 2023.

[7] La défense nationale dans le nord, op. cit., tome 1 page 522.

[8] La défense nationale dans le nord, op. cit. (tome 1 page 594).

[9] L’Echo de la Frontière, 29 juin 1856. Bibliothèque municipale de Valenciennes.

[10] Almanach de Valenciennes et de son arrondissement, 1877, Lemaître Libraire, pages 89 et suivantes.

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