dimanche 24 septembre 2017

Quel est ce petit poisson qui porte notre nom ?

Je visitais l’autre jour l’un de ces aquariums qui, comme les zoos désormais, souhaitent nous instruire autant que nous divertir. Depuis le cabillaud qu’on pêche dans l’Atlantique nord, jusqu’au poisson-clown qui frétille au milieu des coraux tropicaux, en passant par les voraces requins, les gracieuses méduses, les homards immobiles, je contemplais ce peuple de la mer avec admiration quand mon œil fut attiré – et mon attention tout à fait éveillée – par le nom d’un petit poisson discret : « Valenciennes » ! Bien sûr, je l’ai photographié illico :

Le discret Valenciennes dans son aquarium
(document personnel)
A y regarder de plus près, son nom exact est Valenciennea puellaris, en français Gobie tacheté d’orange, en anglais Maiden goby (c’est-à-dire Gobie jeune fille, traduction du nom latin). Tous les poissons du genre Valenciennea – il existe une quinzaine d’espèces – sont des Gobies, des Gobiidae, une grande famille qui compte près de trente genres.
Ce sont des poissons tropicaux qui vivent en mer Rouge, en mer du Japon, au sud de la Grande barrière de corail et vers la Nouvelle-Calédonie. Les Valenciennea puellaris ne sont pas très grands (pas plus de 15 cm) mais très élégants. Ils portent une jolie livrée couleur sable avec des raies orange sur le corps et des taches gris-argenté sur la tête. Ils vivent en couple et quand ils sont mariés c’est pour la vie ! Ils vivent au milieu des coraux et dans le sable, où ils s’engouffrent s’ils se sentent en danger ou pour passer la nuit.

Aussi sympathiques qu’ils soient, pourquoi s’appellent-ils Valenciennes ? En vérité, pas à cause de nous. La ville n’a rien à voir avec ces Gobies. Ils doivent leur nom à Achille Valenciennes, un zoologiste né au lendemain de la Révolution (en 1794) et grand nom français de la taxonomie. Son destin était d’ailleurs tout tracé, puisque ce monsieur a vu le jour entre les murs du Muséum national d’histoire naturelle à Paris, où logeait son père aide-naturaliste. Toute sa vie, Achille va classer les animaux : d’abord avec Geoffroy Saint-Hilaire, puis avec Lamarck, puis avec Cuvier, trois illustres savants dont les travaux sont autant d’avancées dans notre connaissance du monde animal. Achille s’est intéressé à tout, la mammologie (étude des mammifères), l’ornithologie (celle des oiseaux), l’herpétologie (les serpents), l’ichtyologie (les poissons). Il est l’auteur – avec Cuvier jusqu’en 1832, puis seul – des 22 volumes de L’Histoire naturelle des poissons (1828-1848). Il entre à l’Académie des Sciences en 1844. Ses derniers travaux porteront sur les nautiles (mollusques présents dès les premiers âges de la Terre), les gorgones (animaux vivant en colonies dans les fonds marins), les éponges. Il est mort à Paris en 1865.

Achille Valenciennes
(photo du site Wikipedia)
Un autre savant s’est intéressé à la biologie marine, et celui-là est Valenciennois, c’est Alfred Giard. Né en 1846, c’est en accompagnant son père au jardin qu’il prend goût au monde des insectes et autres bestioles. Après ses études à l’Ecole normale supérieure, il enseigne un temps à la faculté des sciences de Paris avant de rejoindre celle de Lille, en qualité de professeur d’histoire naturelle (1873-1882). Mais Alfred était d’abord un chercheur. En 1874, il crée son propre laboratoire de biologie marine « les pieds dans l’eau », à Wimereux. La station existe toujours, rattachée au CNRS et à l’Université de Lille I, mais à l’époque c’était une grande première de travailler ainsi in situ. Par ailleurs, Alfred Giard était évolutionniste. En 1888, il prend en charge à la Sorbonne un cours sur l’Evolution où il diffuse les idées de Lamarck et de Darwin, alors très controversées. Aujourd’hui tout le monde reconnaît le rôle considérable qu’Alfred a joué dans la diffusion de la théorie de l’évolution en France. Tout comme on lui reconnaît un rôle pionnier dans l’entomologie appliquée – c’est-à-dire l’étude des insectes non plus sous l’angle de la taxonomie, mais, pour utiliser un mot contemporain, sous celui de l’éthologie. Comme Achille, mais cinquante ans plus tard, en 1900, Alfred Giard est reçu à l’Académie des Sciences. Il est décédé en 1908.

Alfred Giard
(photo du site Wallon-Pinault)
Ce grand savant dont je porte le nom, s’est vu donner le sien, par un disciple admiratif, à un parasite intestinal qui ressemble à un cerf-volant. J’aurais préféré un petit poisson.


PS. Bien sûr – mais cela n’a rien à voir avec mon sujet du jour – je dois préciser qu’Alfred Giard a également été maire-adjoint de Lille, député du Nord élu dans la première circonscription de Valenciennes (1882-1885), et que c’est lui qui a invité Emile Zola à venir visiter les mines d’Anzin en 1884 avant d’écrire son roman Germinal. Mais cela est une autre histoire.

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