lundi 4 septembre 2017

Quelle est cette guerrière qui nous accueille à la gare ?

(Photo personnelle)
La Gare du Nord, à Paris, présente une façade spectaculaire de 180 mètres de long ornée de toute une population statuesque censée représenter les villes du nord et de l’est. Au sommet se trouvent les capitales (Londres, Vienne, Bruxelles, huit en tout) qui entourent la plus belle de toutes : Paris ! Un étage plus bas, nichées dans des arcades et armées jusqu’aux dents, se tiennent les grandes villes du nord de la France, au nombre desquelles, en bonne place, Valenciennes (dont le nom est trop long pour le piédestal !). La dame est peu amène. Si on la laissait descendre de son perchoir, nul doute qu’elle nous demanderait nos papiers avant de nous laisser monter dans le train. Elle porte le glaive et le bouclier comme si la vertu de Valenciennes en dépendait. Elle semble nous signifier que nous sommes tout juste dignes de rentrer chez nous par le chemin de fer. Pourtant !

Oui, pourtant : c’est grâce à la mine et au transport du charbon que se développent en France les premières lignes de chemin de fer. Dans la région de Saint-Etienne dès 1823, et à Valenciennes (ligne entre St-Waast-là-Haut et Denain, Compagnie des mines d’Anzin) en octobre 1835. Cette ligne « minière » est la première voie ferrée jamais installée dans le Nord de la France (elle faisait huit kilomètres et demi !), pour transporter le charbon mais aussi des voyageurs. 

La gare de St-Waast-là-Haut à Valenciennes
(photo extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)
D’abord tirés par des chevaux, les wagons sont, dès 1838, accrochés à une locomotive à vapeur, comme cela se faisait déjà en Angleterre. De tronçons en tronçons la ligne est allongée pour atteindre en 1874 près de quarante kilomètres, desservant les centres miniers situés entre Somain et Péruwelz à la frontière belge. Dans les années 20 elle a transporté jusqu’à quatre millions de passagers ! En 1933 elle était desservie par huit trains de voyageurs, un service qui a cessé en 1963.
On appelait ce chemin de fer « le Cavalier », le nom est resté aujourd’hui que les voies ferrées sont démantelées et transformées en parcours de randonnée.

Cette petite ligne, très courte, est typique des premiers investissements effectués à cette époque en France dans le ferroviaire – au contraire de nos voisins anglais, allemands, belges ou suisses qui développent des réseaux plus importants, plus rapidement. C’est que la France possédait au XIXe siècle un bon réseau routier, un réseau de canaux et une batellerie bien développés, en quelque sorte le besoin du chemin de fer ne s’est pas fait sentir d’emblée. Pourtant ! Avant la création du train, le transport des voyageurs se faisait par diligence (environ 10 km/h) ou par malle-poste (16 à 18 km/h). Sainte patience ! Le journal « Le Petit Valenciennois »[1], citant « L’Almanach de Valenciennes », raconte comment on se rendait de Valenciennes à Paris en 1786. La diligence (avec au maximum une trentaine de personnes à bord) ne circulait sur ce trajet que les dimanche, mardi et vendredi. Les horaires étaient différents selon qu’on voyageait en été ou en hiver ; en été, le départ était fixé à 6 heures du matin. Les voyageurs s’arrêtaient à Cambrai pour déjeuner et couchaient à Péronne. Le lendemain midi, déjeuner à Pont, dans l’Oise, arrivée à Paris à 7 heures du soir. En hiver, départ à midi, coucher à Cambrai, le lendemain déjeuner à Péronne, souper à Pont et arrivée à Paris le surlendemain du départ, à 8 heures du matin. Prix du voyage : 40 livres, le double pour l’aller-retour. La diligence, précisait l’Almanach, « loge à la Cour de France, rue Capron, n° 11 ». C’est le quartier de la Poste aux Chevaux de l’époque, et aujourd'hui de la Sous-préfecture, là où nous allons chercher nos cartes grises !

Pour en revenir au train, la ligne Valenciennes-Paris ne s’est pas faite en un jour. Dix ans après notre première voie ferrée, le banquier James de Rothschild, Jean-Henri Hottinguer et Edward Blount créent la Compagnie du chemin de fer du Nord le 20 septembre 1845. Cette compagnie va exploiter le réseau ferroviaire du Nord jusqu’en 1938, date de création de la SNCF. Dès 1846, une première ligne joint Paris à Douai et à Lille, une autre Paris à Amiens et Lille, une troisième Valenciennes à Douai. Le train roule alors de 33 à 40 km/h en moyenne.

La deuxième Gare du Nord de Paris
(Lithographie de Charles Rivière, sur le site "L'Histoire par l'image")
1846, c’est aussi l’année où est inaugurée la première Gare du Nord de Paris, qui s’avère trop petite dès 1854, est démontée puis est reconstruite à Lille (c’est l’actuelle gare Lille-Flandres) ! La Gare du Nord actuelle (celle qui porte notre guerrière), trois fois plus grande que la précédente, est édifiée de 1861 à 1866 sous la direction de Jacques Hittorff, son architecte. A Valenciennes, la première « gare » était un bâtiment en bois, que l’armée pouvait détruire facilement si nécessaire, situé sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’Esplanade. Une deuxième gare, toujours en bois, lui succède en 1868, toujours à l’extérieur des remparts mais plus esthétique que la première. 

La première gare de Valenciennes
(photo extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)

La deuxième gare de Valenciennes
(photo extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)



























La troisième gare de Valenciennes.
La grande verrière arrière a disparu en 1918.
(photo extraite de la page Facebook de Richard Lemoine)
Lorsque les fortifications sont démantelées, la ville décide de construire une gare monumentale. Dessinée par l’architecte Clément Ligny, elle sera achevée en 1908 – et entièrement détruite en 1918, puis reconstruite à l’identique en 1920. Sortie indemne de la deuxième guerre mondiale, elle trône royalement sur sa « place de la Gare » dont elle regarde passer les nombreux aménagements voulus par nos maires successifs. Désormais, le TGV met Paris à moins de deux heures de Valenciennes. Notre gare, en 2015, a compté plus de trois millions de voyageurs. A Paris notre guerrière continue de monter la garde.



[1] Journal du 22 février 1920.

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