mardi 1 mars 2022

Quel est ce duo qui tint bon face à la tempête ?

Ou : L’introduction de l’eau potable à Valenciennes, chapitre 2 – Les protagonistes.

 

Après une interminable danse deux pas en avant, trois pas en arrière, deux hommes vont prendre le problème de l’introduction de l’eau potable à Valenciennes à bras le corps, et le mener à bien à la force du poignet : le maire Louis Bracq et l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées Auguste Masquelez. Deux personnages qui sortent de l’ordinaire.

 

Louis Bracq est un commerçant. Il est négociant en batistes – c’est-à-dire en toiles de lin – comme son père et son grand-père. Dans l’Almanach de 1853 il est cité en tant que membre de la Chambre de Commerce et administrateur de la Banque de France de Valenciennes. Né en 1800, il épouse en 1834 Eugénie Dabencourt, 19 ans, fille d’un “apprêteur de toilettes“ (ce métier consiste à préparer les pièces de toiles de lin pour les confier ensuite aux négociants[1]). Ils auront trois enfants : leur fille Aline épousera un fils d’Honoré Carlier-Mathieu qui fut maire de Valenciennes ; et leur fille Elise sera demandée en mariage par le peintre Jean-Baptiste Carpeaux, tombé raide-dingue amoureux d’elle – mais elle épousera en 1860 un fils d’Emile Lefebvre, lui aussi ancien maire de Valenciennes.

 

Louis Bracq, 1800-1881
(image extraite du site rmngp.fr)

Car Louis Bracq fut à son tour maire de Valenciennes, élu par ses concitoyens puis officiellement nommé à ces fonctions par l’empereur Napoléon III le 4 avril 1857. Il connaissait bien la vie de la cité pour faire partie du Conseil municipal depuis déjà plusieurs années. Sous son mandat, qui prit fin en septembre 1870, seront construits plusieurs “monuments“ que la ville aujourd’hui ne manque pas de vanter aux touristes : le grand bâtiment des Académies (qui abrite de nos jours le conservatoire de musique), la façade de l’Hôtel de ville, l’église Notre-Dame du Saint-Cordon notamment. Il a donné son nom à l’une de nos rues, située tout contre le château d’eau.

Cette géographie n’est pas un hasard (du moins, je présume), car c’est lui, Louis Bracq, qui a décidé de venir à bout du problème des eaux potables à Valenciennes, en lançant de grands travaux malgré l’ardente hostilité d’une étrange partie de la population.

 

Dès le départ, il a eu l’excellente idée de confier la mise en œuvre de ce projet à son ingénieur des Ponts-et-Chaussées, Monsieur Masquelez. Une pointure !

Auguste Masquelez est né à Lille en 1817 ; il est le fils d’un “négociant“ qui meurt brutalement en 1834 au Canada – ou à New-York, ce n’est pas clair ; il a un jeune frère, Alfred, né en 1822 ; leur mère est décédée en 1831, et les deux garçons vivent avec leur tuteur, un frère de la première épouse de leur père. Alfred fera une carrière militaire comme officier chez les Zouaves ; puis il deviendra percepteur, avant de décéder en 1885 à Saint-Cyr-l’Ecole, où il était bibliothécaire des armées. 

Auguste, pour sa part, « fait l’X » comme on dit (il entre à Polytechnique en 1837), et choisit le corps des Ponts-et-Chaussées. Il se marie en 1845 à Guéret, dans la Creuse, « où il demeure depuis plus d’un an » précise son acte de mariage.

Il arrive à Valenciennes en qualité d’Ingénieur des Ponts-et-Chaussées, également en charge du contrôle et de la surveillance des chemins de fer. Le territoire dont il s’occupe s’étend bien au-delà des murs de la ville : il est « chargé du service de l’arrondissement de Valenciennes et d’une partie des arrondissements de Cambrai et d’Avesnes.[2] » 

 

Le Courrier du Nord, 2 novembre 1859
(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

Les documents qui le concernent parlent tantôt d’Auguste Masquelez, tantôt d’Henri Masquelez (ses deux premiers prénoms), mais le plus souvent il est appelé “Monsieur Masquelez“. Lui-même signait de son seul nom de famille.

Il n’est pas valenciennois au recensement de 1846, mais au suivant, en 1851, on le trouve logé au 13 rue de la Viéwarde (sous le prénom d’Auguste), avec sa femme Léontine, son fils de 4 ans Félix, ainsi qu’une cuisinière et une femme de chambre. La maison sera mise en vente en 1864, et on apprendra au passage qu’il s’acquitte d’un loyer de 980 fr par an.

Après avoir mis Valenciennes en eau, si j’ose dire, il partira à Lille en 1866, nommé directeur des travaux municipaux. Ses grands chantiers seront, à nouveau, la distribution de l’eau potable à Lille, et l’agrandissement de la ville avec ce que cela comporte de vision d’avenir et d’anticipation. Dans ce domaine, son nom a été complètement oublié pour celui de son adjoint et successeur, Alfred Mongy. 

 

L'Echo de la Frontière, 18 avril 1867
(Bibliothèque municipale de Valenciennes)

Puis Auguste Masquelez est chargé de réorganiser l’Ecole des arts industriels et des mines de Lille, qu’il transforme en Institut industriel du Nord, dont il devient le premier directeur en 1872. Cette école existe toujours (Ecole Centrale de Lille).

En 1885 il est invité par “le gouvernement du Caucase“ à installer l’eau potable, une fois de plus, dans la ville de Tifiis (aujourd’hui Tbilissi). Cette excursion lui vaudra le titre de “Commandeur du Nicham Iftikar“ en récompense de ses mérites.

 

"L'ordre de la gloire", Nicham Iftiëar
(image extraite du site semon.fr)

Il est mort à Guéret en janvier 1903. Il avait pris sa retraite dans cette ville d’où son épouse était originaire, et où il faisait activement partie du conseil municipal et de la société des sciences. Il avait reçu la Légion d’Honneur en 1859, tout comme Louis Bracq.

 

Ces deux-là se sont lancés dans la bataille de l’eau avec courage et ténacité. Le coup de pouce qui les a aidés, par rapport à leurs prédécesseurs malheureux, fut la facilité donnée aux municipalités de s’endetter, ou plutôt de rembourser les emprunts qu’elles effectueraient, grâce à l’autorisation obtenue par le Crédit Foncier, en 1860, d’accorder des prêts aux collectivités. Louis Bracq n’a pas hésité à “mettre le paquet“. Il contracte (avec l’assentiment de son conseil municipal, bien sûr) un emprunt de deux millions de francs – la somme est titanesque ! – pour lancer dès le début de son mandat six grands chantiers : restauration de la façade de l’hôtel-de-ville ; construction d’un marché couvert ; agrandissement du collège et des académies ; curage des canaux ; achèvement de l’église Notre-Dame ; conduite d’eaux potables dans l’intérieur de la ville. Le 22 juin 1861 il ouvre la séance du Conseil municipal avec ces mots : « La loi qui autorise l’emprunt de la ville de Valenciennes vient d’être votée par le Corps Législatif et approuvée par le Sénat ! »[3]. Cette loi précise dans son “article unique“ : « La ville de Valenciennes est autorisée à emprunter, à un taux d’intérêt qui n’excède pas cinq pour cent, la somme de deux millions, remboursable en trente-cinq ans, à partir de 1862, sur ses revenus…[4] » C’est un grand “ouf“ pour tous ceux qui soutiennent le projet d’introduction des eaux potables en ville ; mais c’est la poursuite effrénée de la guérilla pour les autres.



[1] Voir dans ce blog mon article « Quels sont ces croqueteurs, ces retordeurs, ces fourbisseurs ? » publié en avril 2020.

[2] Almanach de Valenciennes, 1853, page 42.

[3] Archives municipales, registre des délibérations 1D77 (9), page 76.

[4] Idem, page 81.

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